Cela fait maintenant 10 ans que l’Assemblée générale des Nations unies a proclamé  le 21 mars Journée internationale des forêts. Cette journée est l’occasion pour les citoyens ordinaires et les gouvernements d’exprimer leur amour pour les forêts et leur engagement à les protéger.

Cette année, quelques semaines seulement après cette célébration, la troisième partie du sixième rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a été publiée, s’appuyant sur le travail de milliers de scientifiques. Le rapport montre qu’il reste beaucoup à faire si le monde veut éviter de s’engager sur la voie d’une rupture totale du climat en n’atteignant pas les objectifs de l’Accord de Paris sur le changement climatique (limiter le réchauffement de la planète à 1,5 c ou 34,7F et en tout cas sous 2c ou 35,6F). 

En tant que continent qui souffrira le plus des événements météorologiques extrêmes, de la rareté de l’eau, de l’érosion côtière, des migrations internes et des conflits, l’Afrique a besoin de plus d’action et de moins de promesses vides lors des journées internationales, des conférences et des rapports publiés.

L’un des objectifs de l’Agenda 2030 des Nations Unies est d’augmenter la superficie forestière mondiale de 3 % (120 millions d’hectares), ainsi que de renforcer les avantages économiques, sociaux et environnementaux liés aux forêts. Mais la réalité en Afrique centrale place cet agenda et les promesses qui l’accompagnent sous un jour difficile. 

Les forêts sont également mises en avant comme une solution par le GIEC, avec des mises en garde contre les fausses solutions : “Faire pousser des forêts et préserver les sols… ne remédiera pas à la situation. La plantation d’arbres ne peut pas compenser les émissions continues des combustibles fossiles.”

C’est vrai. Il est impossible de sortir de la crise climatique en plantant simplement des arbres.  Il faut des siècles pour que les arbres nouvellement plantés (s’ils survivent) soient capables d’absorber le carbone à l’échelle des forêts tropicales et de plus, cela ne contribue en rien à enrayer la perte de biodiversité. Reconnaître les droits des peuples autochtones  et des autres communautés locales dans la  défense des forêts tropicales est le choix de politique écologique le plus éthique et le plus efficace.

Pourtant, la forêt tropicale du bassin du Congo, la deuxième plus grande du monde, pourrait disparaître en 2100 en raison du  taux de déforestation grandissant au fil des années. Rien qu’en 2020, plus de 600 000 hectares de forêt primaire ont été perdus dans le bassin du Congo.  Il suffit de regarder les chiffres : aucune déclaration pompeuse, aucun engagement, aucune alliance, aucune initiative, aucun accord ne peut cacher cette triste réalité.

L’année dernière, au Cameroun, le gouvernement a pris des engagements volontaires en révisant sa contribution nationale déterminée (CDN) afin de réduire les émissions de 35 % et de sécuriser 30 % de ses forêts d’ici 2030. Pourtant, sur le terrain, le même gouvernement est sur le point d’accorder plus de 400 000 hectares de forêt pour l’exploitation forestière, ainsi que d’autres concessions forestières tel que celui du projet Camvert (qui prévoit de remplacer environ 60 000 hectares de forêt vierge par une énorme plantation d’huile de palme dans la région sud du Cameroun). 

En République Démocratique du Congo (RDC) voisine, le gouvernement a signé un accord de 500 millions de dollars avec les pays donateurs du CAFI pour protéger la forêt tropicale. Pendant les deux premiers jours de la COP 26 à Glasgow, le président Joe Biden et le premier ministre Boris Johnson se sont précipités pour poser sur une photo avec le président congolais Félix Tshisekedi. Pourtant, aucun cliché ne peut cacher le fait que l’accord permet au pays de lever une interdiction vieille de 20 ans sur l’octroi de nouvelles concessions forestières, une interdiction destinée à empêcher la forêt de devenir un cirque d’illégalités, de corruption et de crimes contre l’environnement. En outre, cet accord de protection des forêts n’empêche pas de remplacer les forêts par des blocs pétroliers.

Et puis dans des pays comme la République du Congo ou le Gabon, il faut considérer les innombrables concessions “légales” mais tout aussi destructrices, y compris celles certifiées FSC. 

Pour les communautés et la riche biodiversité des forêts tropicales, il importe peu que les arbres soient abattus légalement ou non. Le carbone stocké dans la biomasse d’une forêt est libéré dans l’atmosphère sous forme de dioxyde de carbone, que cette forêt ait été saccagée dans le cadre d’un “accord international” ou non.

Les gouvernements d’Afrique centrale, ainsi que les donateurs occidentaux, aiment à dire   que la déforestation peut au moins sortir les communautés de l’extrême pauvreté. Mais la science ne suit pas cette rhétorique politique. Le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) estime que, rien qu’au cours de la prochaine décennie, le changement climatique entraînera 32 à 132 millions de personnes supplémentaires dans l’extrême pauvreté. Le réchauffement de la planète mettra en péril la sécurité alimentaire et augmentera l’incidence de la mortalité liée à la chaleur, des maladies cardiaques et des problèmes de santé mentale. 

Avant que le prochain festival des amoureux  des forêts n’apparaisse dans leurs calendriers, nos politiciens doivent réfléchir à des voies alternatives pour réellement sortir les communautés de la pauvreté. 

Pour commencer, ils devraient élargir l’utilisation des technologies propres pour donner un accès universel à l’énergie et passer à une agriculture écologique pour que les systèmes alimentaires ne ruinent pas notre planète. 

Nous savons que les pays peuvent désormais développer leur économie tout en réduisant leurs émissions. Pour parvenir à un développement durable et à l’éradication de la pauvreté en Afrique centrale, il faudrait mettre fin à la déforestation et adopter des politiques climatiques équitables. C’est en cela que les célébrations et les séances de photos auront un sens.

Sylvie Djacbou Deugoue

Lamfu Fabrice Yengong