À l’approche des élections, le débat sur la sortie du nucléaire sortira une fois de plus du placard comme une recette pour lutter contre le changement climatique. On prétend qu’au moins 7 nouvelles centrales au gaz seraient nécessaires pour un montant dérisoire de 9 milliards d’euros. Dans le même temps, les centrales au gaz sont présentées comme une catastrophe pour le climat.

Pour ceux qui suivent le débat de près, c’est là trop d’absurdités en une seule bouchée pour ne pas en tirer une indigestion. Une brève dissection des ingrédients est à lire ci-dessous.

Tout d’abord, personne ne propose aujourd’hui de construire autant de nouvelles centrales au gaz. Le malentendu réside dans une mauvaise interprétation d’une étude menée par Elia en novembre 2017. Il y était estimé que 5 900 MW de « puissance thermique » seraient nécessaires après la sortie du nucléaire. En supposant que les anciennes centrales au gaz ferment, il faudrait alors ajouter 3 600 MW (ou l’équivalent de 9 centrales à gaz de 400 MW). Elia n’a pas prétendu que toute cette capacité devrait provenir de nouvelles grandes centrales à gaz, il existe d’autres options. Il faut cependant reconnaître que l’étude d’Elia n’a pas suffisamment mis en évidence les alternatives.

Mais surtout, il y a eu beaucoup de discussions entre-temps. Suite aux critiques de la CREG, le régulateur de l’électricité, et entre autres de Greenpeace, Elia a déjà nuancé ses chiffres. Elia a maintenant pour tâche de présenter une nouvelle étude d’ici la fin juin et elle avancera certainement un chiffre plus bas. La principale observation de la CREG est que la moitié de cette « puissance thermique » nécessite moins de 100 heures par an (soit 1 % du temps !). Quelle entreprise investit des milliards dans une nouvelle turbine coûteuse afin de ne l’utiliser qu’une fois par an ? Personne.

Deuxièmement, la Commission européenne rejetterait avec une certitude absolue une telle mégaproposition de milliards de subventions pour de nouvelles centrales au gaz en Belgique ; il existe déjà des précédents à cet égard au Royaume-Uni. En acceptant, elle fausserait la concurrence avec d’autres pays. Il est certain qu’avec les critiques de la CREG en plus, une telle proposition n’a aucune chance auprès de la Commission. Alors, de quoi parlons-nous ici ?

Troisièmement, cinq centrales nucléaires sur sept fermeront de toute façon d’ici 2025. Les plus anciennes ne répondent plus aux exigences de sécurité actuelle, et deux autres présentent des milliers de fissures. Il s’agit donc de deux réacteurs ou d’un tiers du parc nucléaire existant. Mettons les choses en perspective : l’année dernière, l’énergie nucléaire a produit 34 % de notre électricité, et cette électricité représente 19 % de la demande totale d’énergie en Belgique (par exemple : la plupart des voitures utilisent encore du pétrole et pas d’électricité). Aujourd’hui, l’énergie nucléaire représente donc 6% de l’énergie belge, et si 2 centrales restent ouvertes, cela descend à 2%. Quiconque tente de réduire le débat sur le climat à ces 2 % fait preuve de mauvaise fois. Et dans l’hypothèse (erronée) où les centrales nucléaires devraient être remplacées une à une par de nouvelles centrales à gaz, la fermeture de « seulement » 5 des 7 réacteurs nécessiterait encore l’ajout de nouvelles centrales à gaz pour lesquelles un système de subventions devrait alors exister.

Enfin, nous devons être conscients de ce qui se passe dans nos pays voisins. Les centrales nucléaires françaises, comme celles de Belgique, sont marquées par des signes de vieillissement et tombent régulièrement en panne. La France est un grand importateur d’électricité pendant l’hiver, et cela pose de grands défis à notre pays. En Allemagne, il est décidé de fermer pas moins de 12 500 MW de centrales à charbon d’ici la fin de l’année 2022, un grand succès pour le mouvement écologiste, qui fera fondre l’important excédent désormais exporté vers la France et la Belgique, entre autres. Aux Pays-Bas aussi, les centrales au charbon vont être mises hors réseau. Mais en même temps, l’Allemagne et les Pays-Bas accélèrent le développement de l’éolien offshore. Par conséquent, après 2025, nous pourrons importer davantage d’énergie renouvelable de nos voisins du Nord, mais nous devrons également assumer davantage de responsabilités et ne plus pouvoir compter sur leurs centrales électriques au charbon polluantes.

Un scénario réaliste pour le future

Alors que pouvons nous faire ? C’est beaucoup plus intéressant. Des simulations détaillées seront fournies par Elia à la fin du mois de juin, mais en attendant, la situation est déjà claire. Les dernières études de la CREG et d’Elia montrent maintenant la même chose : pour les pics de demande en hiver, l’énergie éolienne a un effet très positif sur notre approvisionnement car elle souffle davantage en hiver. Avec le vent, le pic de demande restant ne diminue que légèrement, mais surtout le nombre d’heures pendant lequel il y a un pic de demande diminue. Selon Greenpeace, il serait préférable de couvrir ces dizaines d’heures par an qui seraient encore en pénurie avec autre chose qu’une nouvelle grande centrale au gaz de 350 millions d’euros.

Pour cela, il faut d’abord gérer la demande, en décalant la demande de quelques heures. Une technique qui est déjà utilisée dans l’industrie aujourd’hui grâce à la numérisation, mais qui a un potentiel encore plus grand. Les centrales à gaz existantes, déjà amorties, peuvent également être utilisées comme une sorte de générateur de secours. Plus nous plaçons d’installations éoliennes et solaires, moins les centrales à gaz devront tourner. Les excédents d’énergie renouvelable en Allemagne ou aux Pays-Bas peuvent également être utilisés en Belgique, ce qui est mieux que de brûler du gaz en Belgique. La capacité supplémentaire du réseau prévue par Elia pour 2020 mérite donc un soutien total.

Cela fonctionne sur tous les plans: pour limiter le CO2 et pour utiliser l’argent pour investir dans l’avenir (efficacité, gestion de la demande, renouvelable, cogénération) et faire des économies. Gaspiller notre argent pour prolonger la durée de vie de deux anciennes centrales nucléaires ou pour construire de nouvelles centrales à gaz inutiles risque non seulement de coûter cher, mais nous enferme aussi dans le passé. Investir massivement dans l’innovation avec les centrales à gaz existantes coûte moins cher et ouvre la voie à un système énergétique abordable et durable.

Responsabilité politique

Malgré la mauvaise gestion de ces dernières années, une solution positive est encore possible. Ce qui peut contrecarrer cela, c’est le lobby coordonné du nucléaire et du gaz et l’inertie de la politique. D’ailleurs l’entreprise Engie essaie de manger à tous les râteliers. En effet, d’une part elle compte ramasser des subventions pour des nouvelles centrales à gaz et du soutien pour la prolongation de la durée de vie de ses centrales nucléaires, et d’autre part elle peut organiser la rareté limitée pour faire monter les prix de l’électricité en Belgique et donc gagner plus pour chaque kWh produit.

Notre « éco-réalisme » nous oblige à reconnaître que beaucoup de temps a été délibérément perdu, du temps qui aurait dû être utilisé pour préparer la fermeture des centrales nucléaires et en parallèle pour éviter autant que possible de nouvelles centrales à gaz. Le plein potentiel de l’efficacité énergétique dans l’éclairage, par exemple, ne sera probablement pas réalisé d’ici l’hiver 2025. C’est vraiment décevant. C’est une forme de stratégie de dégradation irresponsable. Et dans les semaines à venir, le jeu politique risque d’être joué à fond. Avec les élections en vue, la prise de responsabilité ne sera pas la priorité pour certains.
Après tout, dans les prochains jours, un projet de loi sur les mécanismes de soutien des capacités sera soumis au vote du Parlement. Cette loi fournit un cadre qui est absolument nécessaire, avec ou sans sortie complète du nucléaire. Le positionnement des partis indiquera clairement qui est capable d’assumer des responsabilités. Après les élections, la nouvelle étude Elia prévue pour juin sera la première étape de la mise en œuvre de cette loi (via des décrets royaux). Nous espérons que les alternatives pour les nouvelles centrales à gaz seront bien élaborées. Il incombe donc à notre gestionnaire de réseau l’importante responsabilité de donner toutes les chances aux nouvelles technologies.