Alors que les gouvernements européens et les entreprises réclament davantage d’importations de gaz fossile liquéfié (GNL) américain, un rapport met en garde contre les risques climatiques et financiers de cinq grands projets d’exportation de GNL prévus aux États-Unis. [1] Cette nouvelle étude met l’Europe face à ses contradictions : si nous voulons vraiment atteindre nos objectifs climatiques, nous ne pouvons pas remplacer le gaz de Poutine par celui de Trump. La Belgique n’est pas en reste, Fluxys jouant un rôle-clé sur la scène européenne du gaz.
Selon le rapport réalisé par Greenpeace USA, Earthworks et Oil Change, aucun des cinq projets d’exportation de GNL prévus sur la côte américaine du golfe du Mexique ne passe le ‘test climatique’ lancé en 2024 par le ministère américain de l’Énergie, et qui vise à en garantir l’intérêt public. [2] Chacun de ces projets entraînerait une augmentation des émissions de gaz à effet de serre, menaçant directement les efforts mondiaux visant à atteindre les objectifs de l’accord de Paris sur le climat.
Sous la pression de Trump, qui menace d’imposer des droits de douane élevés, la Commission européenne propose d’augmenter encore les importations de GNL américain. [3] Le ‘Plan d’action pour une énergie abordable’ de février 2025 stipule même que l’UE et ses États membres envisageront des investissements publics directs dans des infrastructures étrangères d’exportation de gaz, y compris potentiellement les projets évoqués dans le rapport. [4]
“L’augmentation des importations de gaz américain accroît la dépendance de l’Europe vis-à-vis des États-Unis et rend l’UE et les gouvernements nationaux vulnérables aux abus de pouvoir politique de Trump”, déclare Mathieu Soete, chargé de campagne transition énergétique chez Greenpeace Belgique. “ Les responsables politiques européens doivent mettre fin à cette dépendance aux énergies fossiles et prendre en main l’avenir de l’Europe en investissant dans un système énergétique renouvelable, sûr et pacifique.”
Le rôle important de la Belgique et de son gestionnaire de réseau gazier Fluxys
Plusieurs entreprises énergétiques européennes ont déjà conclu des contrats à long terme avec quatre des cinq projets mentionnés dans le rapport. Ces contrats courent jusqu’après 2035, année où l’Europe doit avoir complètement abandonné le gaz fossile si elle prend au sérieux ses objectifs climatiques. [5]
La Belgique, via son gestionnaire du réseau de gaz Fluxys, est également profondément impliquée dans le commerce de gaz fossile liquéfié en provenance des Etats-Unis. [6]
Fluxys est par exemple copropriétaire du terminal GNL de Dunkerque, principale porte d’entrée européenne du GNL américain. Un gazoduc Fluxys relie d’ailleurs directement Dunkerque au réseau gazier belge.
En outre, plusieurs contrats d’exportation de GNL examinés dans le rapport sont liés à des infrastructures (co)détenues par Fluxys ou qui acheminent le gaz vers la Belgique. Pas moins de 55 % des 13,63 millions de tonnes de GNL couvertes par les nouveaux contrats à long terme mentionnés dans le rapport sont liées à notre pays via les infrastructures et les intérêts de Fluxys.
Enfin, il existe un risque réel que le terminal GNL de Zeebruges, sous la pression légitime de l’Europe pour réduire progressivement les importations de gaz russe, passe d’une plaque tournante pour le GNL russe à une plaque tournante pour le GNL américain.
“Le remplacement du gaz russe par du gaz américain ferait de la Belgique une plaque tournante du commerce croissant du GNL entre les États-Unis et l’Europe. Mais remplacer le gaz de Poutine par celui de Trump serait une très mauvaise nouvelle pour le climat, pour nos factures, mais également pour l’indépendance énergétique et la position géopolitique de l’Europe” conclut Mathieu Soete.
Greenpeace appelle les responsables politiques de l’UE et de notre pays à mettre immédiatement fin à tout nouvel accord à long terme pour l’importation de gaz fossile liquéfié. La proposition d’investissements publics dans des infrastructures d’exportation de gaz à l’étranger doit également être retirée. Au lieu de cela, l’UE doit :
- interdire tous les nouveaux projets fossiles, y compris les terminaux d’importation de GNL,
- mettre fin à tous les investissements publics dans les infrastructures fossiles, et
- s’engager à éliminer progressivement l’utilisation du gaz fossile d’ici 2035.
Notes à l’intention des rédactions
- Lire le briefing presse européen au sujet du rapport.
- Lire le rapport complet.
Notes
[1] Les cinq projets étaient encore en attente d’une décision d’investissement définitive au moment de la rédaction de ce rapport. Le 24 juin 2025, Cheniere Corpus Christi LNG a toutefois annoncé une décision d’investissement positive.
[2] Décembre 2024 | Energy, Economic and Environmental Assessment of US LNG Exports
[4] Plan d’action pour une énergie abordable
[5] Parmi les entreprises concernées figurent SEFE (Allemagne), BASF (Allemagne), GASTRADE S.A. (Grèce), DTEK (Ukraine), TotalEnergies (France), PKN Orlen (Pologne), Galp (Portugal) et Equinor (Norvège), dont plusieurs sont entièrement ou partiellement détenues par l’État. Source : Sierra Club US LNG Export Tracker, situation au 4 juin 2025.
[6] Plus d’informations sur le rôle de Fluxys ci-dessous.
À première vue, l’essor des nouveaux terminaux d’exportation de GNL américains semble être une réalité lointaine pour la Belgique. Mais les apparences sont trompeuses. La Belgique, et en particulier le gestionnaire de réseau de gaz Fluxys, est profondément impliquée dans le commerce transatlantique du gaz naturel liquéfié.
1) Fluxys est copropriétaire et exploitant * du terminal méthanier de Dunkerque, dans le nord de la France.
Il s’agit du deuxième plus grand terminal méthanier d’Europe continentale et du principal point d’entrée européen pour le GNL américain. Ce terminal permet d’acheminer directement et en grandes quantités du gaz de schiste américain vers le marché européen, comme l’a déjà signalé Greenpeace.
L’État belge et plusieurs communes sont actionnaires majoritaires de Fluxys. Et grâce à un gazoduc reliant directement Fluxys à Dunkerque et au réseau gazier belge, la Belgique joue un rôle crucial dans le transit du gaz fossile américain. Officiellement, ce gaz est enregistré dans les statistiques comme du gaz français, mais en réalité, il s’agit de gaz de schiste américain. Alors que l’UE réduit sa dépendance au gaz russe, c’est le GNL américain qui comble le vide, avec Dunkerque comme pivot.
*Les autres propriétaires de Dunkerque LNG sont des institutions financières, et l’exploitant (Gaz-opale) est détenu à 51 % par Dunkerque LNG et à 49 % par Fluxys. Fluxys détient également 50,01 % des actions de FluxDune, qui détient à son tour 60,76 % des actions de Dunkerque LNG, le propriétaire. Dunkerque LNG détient quant à elle 51 % des actions de Gaz-opale (l’exploitant du terminal), Fluxys les 49 % restants. Sur le papier, Fluxys est donc actionnaire minoritaire du terminal avec 30 %, mais dans la pratique, elle dispose d’un droit de vote partout grâce à ses actions majoritaires dans FluxDune.
2) Fluxys joue un rôle clé dans les contrats américains relatifs au GNL et les structures de transit
Le nouveau rapport de Greenpeace sur les projets d’exportation de GNL américains fait référence à plusieurs nouveaux terminaux et aux contrats qui y sont liés. Bien qu’à première vue, il ne semble pas y avoir de lien direct avec la Belgique, il apparaît à y regarder de plus près que plusieurs de ces contrats sont liés à des infrastructures qui sont (co)propriété de Fluxys ou qui transitent par la Belgique via Fluxys.
Un exemple : le britannique National Grid a conclu deux contrats à long terme avec Venture Global. Le gaz transitera par le terminal GNL britannique de Grain, qui acheminera ensuite le gaz vers la Belgique via une interconnexion sous-marine appartenant à Fluxys. Officiellement importé comme gaz britannique, il s’agit en réalité de GNL américain transitant sous pavillon britannique vers la Belgique.
Finalement, toujours en Belgique, le géant de la chimie INEOS a également conclu un contrat avec Sempra LNG pour une nouvelle capacité d’approvisionnement. INEOS souhaite ainsi sécuriser ses processus de production à forte intensité énergétique pour ses usines au Royaume-Uni, en Norvège et bientôt à Anvers, dès que l’usine de plastique « Project One » sera opérationnelle. Cette usine fonctionnera au gaz de schiste américain.
Par ailleurs, Fluxys est copropriétaire de Gastrade en Grèce, qui a également signé un contrat pour du GNL américain, qui sera gazéifié dans le terminal d’Alexandroupolis. La société énergétique ukrainienne DTEK reçoit également du GNL via le terminal grec de Revithoussa, également détenu en partie par Fluxys.
En Allemagne, la société énergétique EnBW a conclu en 2022 un contrat à long terme pour des livraisons via le Hanseatic Energy Hub, qui était alors en partie détenu par Fluxys (actions vendues entre-temps). La société publique SEFE a également signé un contrat et réservé une capacité de gazéification dans le terminal de Dunkerque, ce qui indique que ce gaz américain sera d’abord importé via la France, puis acheminé vers l’Allemagne.
Sur les 13,63 millions de tonnes de GNL faisant l’objet de nouveaux contrats à long terme identifiés par Greenpeace US, pas moins de 55 % sont liés à la Belgique via les ramifications de Fluxys. Ces contrats courent encore pendant plusieurs décennies, bien au-delà de 2035, date à laquelle l’Europe devrait avoir éliminé progressivement le gaz fossile afin de contribuer équitablement aux efforts internationaux en matière de climat.
3) Le terminal Fluxys à Zeebruges pourrait passer du gaz russe au gaz américain
Le terminal GNL de Zeebruges, exploité par Fluxys, est actuellement l’un des principaux hubs d’importation et de réexportation de GNL russe au sein de l’UE. Mais alors que la pression s’intensifie pour mettre fin à l’importation de gaz russe d’ici 2027, Zeebrugge devrait abandonner ce rôle. Aujourd’hui, le terminal est principalement alimenté en GNL russe et qatari, mais dès que des capacités se libéreront, le GNL américain sera le successeur le plus probable. Dans le cadre du plan REPowerEU, la Commission européenne a en effet explicitement misé sur le gaz américain pour remplacer les sources d’énergie russes. Un tel changement renforcerait encore la position de la Belgique en tant que plaque tournante du commerce croissant du GNL entre les États-Unis et l’Europe, et consoliderait le rôle important mais souvent méconnu de notre pays sur le nouveau marché européen de l’énergie.