La crise énergétique nous touche de plein fouet depuis quelques mois. Le prix des énergies fossiles s’est envolé atteignant des prix inédits sur les marchés. Les gouvernements des pays européens, dont le Luxembourg, essaient à différents niveaux de réduire l’impact de cette crise. La sobriété est le mot à la base de nombreuses mesures : diminution de la température du chauffage, extinction des lumières publiques en soirée, etc. Les idées, semblables à ce que des organisations comme Greenpeace mettent en avant depuis bien longtemps, ne manquent pas.
Le secteur du transport est consommateur des deux tiers du pétrole importé en Europe et est responsable de 30 % des émissions de gaz à effet de serre. Il nous semble intéressant de faire le lien entre ce vaste sujet de la mobilité et de notre dépendance aux énergies fossiles. Comment l’énergie fossile est-elle utilisée au Luxembourg ? Quelles sont les solutions possibles à court terme et à long terme ? Comment combattre les inégalités sociales visibles également dans la mobilité ? [1]
Le constat de l’(im)mobilité au Luxembourg
De par ses caractéristiques économiques et sa petite taille, se pencher sur la mobilité au Luxembourg c’est se pencher aussi bien sur la mobilité nationale que transfrontalière. En termes de transport en général, le Luxembourg présente des tendances similaires à d’autres pays européens : un secteur des transports de marchandise dominés par la route, une diminution du volume du transport par rail et une croissance du transport aérien, parfois pour des distances relativement courtes.
Selon l’étude Modèle Multimodal et Scénarios de mobilité transfrontaliers datant de 2021 sur la Grande Région, 29 % des déplacements concernent le trajet domicile-travail. C’est la voiture qui est principalement utilisée puisqu’elle concerne 66 % des trajets.
Cette surreprésentation de la voiture dans le mix des transports est à mettre en parallèle avec son taux d’occupation très faible (au mieux 1,22 personne par voiture en moyenne selon le Ministère de la Mobilité et des Travaux publics). Les externalités qui en découlent sont nombreuses : les embouteillages (la capitale est source de 64 heures par an d’embouteillage par automobiliste), notre dépendance aux énergies fossiles (seul 2,14% du parc automobile luxembourgeois est électrifié) mais également les émissions de gaz à effet de serre. Selon l’inventaire national de l’Administration de l’Environnement, le secteur du transport sur route a émis plus de 6 millions de tonnes de CO2e, chiffre comprenant également le fameux “tourisme à la pompe”.
La mobilité et le Luxembourg, une histoire d’énergie fossile
Le secteur du transport routier de marchandises a une place particulière au Luxembourg. Par la mise en place de taxation et accise plus avantageuse que dans les pays limitrophes, le Luxembourg attire un trafic routier important afin de remplir les réservoirs. Cela se traduit par un volume important de trafic routier supplémentaire posant des perturbations et embouteillages et par la vente de 2 milliards de litres de carburant dont, selon une étude de la Statec de 2019, 80% viennent remplir les réservoirs des non résidents. Si le Luxembourg veut atteindre ses objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre, il sera nécessaire de réduire davantage l’écart de tarif entre les prix à la pompe au Luxembourg par rapport aux pays limitrophes.
Le secteur du transport consomme l’essentiel de l’énergie au Luxembourg, soit 56 % de toute l’énergie consommée au Luxembourg. Bien que tendant vers une électrisation des moyens de transport individuels à grand renfort de primes, le consommateur luxembourgeois, dans une étude publiée par la BEI en février 2022, compte parmi les plus réticents au niveau européen à considérer un véhicule électrique ou hybride comme prochain achat de voiture.
Quoiqu’il en soit, il est urgent pour le Luxembourg de prendre des mesures, parfois impopulaires pour espérer tenir ses engagements de réduire de 57 % les émissions liées au transport d’ici 2030 et diminuer sa dépendance aux énergies fossiles.
Les solutions proposées par Greenpeace
Face aux problèmes générés par la mobilité, on peut prendre des mesures à court terme pour faire face à la crise immédiate et puis orienter les investissements et lancer des mesures à plus long terme afin d’avoir une politique de mobilité plus cohérente et réduire notre dépendance à des ressources extérieures.
Au niveau européen, Greenpeace a calculé que des mesures ciblées sur la mobilité automobile peuvent réduire la demande de pétrole de 22 % par an, soit l’équivalent de 38 millions de tonnes de pétrole.
Il est possible d’actionner trois leviers: on peut inciter à passer à une mobilité alternative ou à diminuer la demande de mobilité mais également mettre en place des mesures visant à la réduction de la consommation énergétique.
Concernant ces dernières, on peut citer la réduction de la vitesse maximale sur route, qui, au niveau européen, permettrait de réduire la consommation de 5 millions de tonnes de pétrole par an. En Autriche, les experts estiment que le passage à des limites de 100/80/30 km/h à la place de 130/100/50 km/h permettrait une réduction de 10 % des émissions de CO2e. Au Luxembourg, l’estimation est plus difficile à cause du manque de données à disposition et de la présence du “tourisme à la pompe”. Ce tourisme à la pompe devrait être progressivement diminué en augmentant progressivement la taxation des énergies fossiles. C’est déjà prévu par la mise en place d’une taxation carbone qui augmente régulièrement, ce qui est positif. Néanmoins, il faut tenir compte des ménages les plus défavorisés pour ne pas augmenter la fracture sociale qui se traduit également dans la mobilité. Des mesures non ciblées comme celles de la tankrabatt, récemment arrivée à échéance et non renouvelées, ne sont pas adaptées à la situation actuelle qui demande un passage accéléré vers des énergies renouvelables.
Le car sharing devrait également être promu afin de remplir les 250.000 sièges libres chaque matin dans l’agglomération de Luxembourg. Le Luxembourg est à la traîne à ce niveau-là et loin de la moyenne européenne de taux de remplissage des véhicules individuels. A ce sujet, le PNM 2035 promet de mettre en place des voies de covoiturage, mais est-ce que cela sera suffisant pour influencer les navetteurs de faire le pas? Le projet devra en tout cas faire l’objet d’une réflexion approfondie, la récente voie de covoiturage installée du côté belge vers le Luxembourg ne connaît pas le succès escompté.
Le passage vers une autre mobilité peut être incité par différentes mesures comme la gratuité des transports en commun. Par contre, cette mesure, isolée, bien que positive d’un point de vue social, ne semble donc pas suffisante pour un report modal au Luxembourg. Bien que la fréquentation des transports en commun soit en hausse (par exemple, jusqu’à 75.000 personnes utilisent le tram par jour), le nombre de voitures sur les routes n’a pas significativement varié : les statistiques d’embouteillages et de circulation sont de retour à leur niveau d’avant-Covid.
Une fiscalité plus adaptée prenant en compte le coût réel du transport utilisé pour la collectivité doit être explorée. Au Luxembourg, les véhicules les plus polluants (et plus gourmands) ne sont pas suffisamment taxés en regard de ce qui se fait dans les pays limitrophes. En France, un malus fiscal est imposé aux véhicules à partir de 128 grammes CO2/km. En Belgique, une taxation plus stricte incite les consommateurs à choisir des véhicules moins gourmands et donc moins polluants et nocifs. Une révision du système de taxation, prenant en compte le poids, la cylindrée et les émissions de CO2 devrait être mise en place.
La taxation est un sujet sensible mais nécessaire à aborder : le Luxembourg présente des chiffres peu enviables avec un nombre de voitures par habitant le plus élevé en Europe (soit 662 voitures pour 1000 habitants) mais également des émissions moyennes des véhicules mis en circulation. En 2020, ce chiffre s’élevait à presque 120 g de CO2 par km, classant le Luxembourg en 7ème place européenne, bien au-dessus de la moyenne européenne (108,2 g par km).
Augmenter les possibilités de télétravail pour les métiers qui le permettent et pour les frontaliers peut être une excellente mesure sur plusieurs plans. La qualité de vie des travailleurs s’en verrait améliorée et cela permettrait de réduire le flux de navetteurs. Une étude de Greenpeace en Allemagne a montré qu’il était possible de réduire la consommation énergétique de 3 % si 40 % des travailleurs effectuaient du télétravail deux jours de plus par semaine. A plus long terme, une politique pour ralentir la hausse du coût des logements et augmenter l’offre de logements de qualité sur le territoire luxembourgeois permettrait de réduire la demande de mobilité.
Enfin, et pour prendre un peu de hauteur, il est nécessaire de revoir l’usage de l’avion dans nos trajets. Dans le classement des destinations les plus fréquentées depuis l’aéroport de Luxembourg,
Tout est une question de priorité, le bien-être de tous et la lutte contre le changement climatique le sont pour Greenpeace et devrait l’être davantage pour le gouvernement luxembourgeois. Certaines mesures proposées peuvent être impopulaires mais il s’agit d’expliquer la situation actuelle à la population en termes de santé publique, du respect des limites de notre planète et de la réduction de notre dépendance aux énergies fossiles. Les mesures très restrictives prises pour résoudre la crise du Covid nous ont démontré que ce qui semblait impossible comme mesure peut être respecté par la population si le message est correctement formulé. Ici, il faut faire face à la réalité environnementale, sociale et géostratégique actuelle et prendre le bon chemin pour l’ensemble de la population et de la sauvegarde de notre planète.
[1] Pour des informations additionnelles, veuillez consultez le rapport suivant (en anglais): Transport Sector Solutions – Combatting multiple crises with calculated solutions to save energy, costs and greenhouse gas emissions in the EU, Analysis by Greenpeace Central and Eastern Europe (CEE), 2022