*Les co-auteurs/trices sont membres d’un groupe de travail d’ONG luxembourgeoises sur la finance durable : Antoniya Argirova et Martina Holbach, Chargées de campagnes, Greenpeace Luxembourg ; Nadine Haas, Chargée de Recherches, ASTM ; Ekkehart Schmidt, Chargé de Relations publiques, etika ; Jean-Louis Zeien, Coordinateur de l’Initiative pour un Devoir de Vigilance.

Leader mondial, pionnier, numéro un… la plupart des partis politiques ne mâchent pas leurs mots dans les programmes électoraux pour décrire leurs ambitions en matière de finance durable. Pour certain·es, le Luxembourg est même déjà devenu un pionnier dans le domaine (sous leur impulsion).

Or, dans leur élan de promouvoir la finance durable, les partis ont oublié de préciser ce qu’elle signifie, mis à part quelques références isolées à la taxonomie ou l’accord de Paris. Qu’est-ce qui rend finalement une transaction financière durable ? Quels sont les critères pour définir l’impact positif sur l’économie réelle ?

Alors que le nombre de cas de green et social washing exposés par la société civile ne cesse de croître au point que l’Union européenne (UE) soit en train de considérer la proposition d’une législation pour sanctionner ces pratiques, le discours politique dominant au Luxembourg semble ignorer ces évolutions inquiétantes. Pourtant, il y a de quoi s’inquiéter car le green et social washing peut conduire à une perte de confiance et à un désengagement de la finance durable, freinant ainsi la transition économique indispensable à la survie de notre planète et l’humanité.

En juillet, six organisations de la société civile luxembourgeoise (ASTM, le Cercle de Coopération des ONGD, la Commission Justice et Paix, Greenpeace, SOS Faim et etika) ont présenté leurs revendications pour un secteur financier plus durable. Leur constat est sans appel : le secteur financier luxembourgeois est loin d’être durable et les déclarations d’intention non contraignantes ne permettent pas de changer fondamentalement les pratiques des acteurs financiers.

Elles ont appelé les futurs décideurs à orienter le secteur financier vers un alignement avec l’accord de Paris et accorder une plus grande attention aux aspects sociaux et aux droits humains. Il est également crucial, d’après elles, de prendre des mesures réglementaires appropriées pour orienter les flux financiers vers des secteurs qui contribuent véritablement à la transformation globale vers une économie durable.

Dans leurs programmes, les partis semblent s’accorder sur l’idée qu’il faut travailler au niveau européen pour renforcer le cadre régulant le secteur financier mais les engagements restent pour la plupart flous, voire inexistants en ce qui concerne la durabilité. Pourtant, les opportunités de devenir un pionnier en s’engageant pour un cadre réglementaire ambitieux en matière de finance durable ne manquent pas. Par exemple, la proposition de directive sur le devoir de vigilance en matière de durabilité constitue une excellente opportunité pour les responsables politiques de montrer leur engagement pour une législation efficace et alignée sur les normes internationales dans laquelle le secteur financier est pleinement intégré.

Alors que les négociations de ce texte entrent dans la phase finale, les dernières informations des couloirs à Bruxelles laissent entendre que le Luxembourg, l’Irlande et l’Allemagne sont toujours opposés à l’intégration des fonds d’investissement dans la directive.

En effet, il est difficile de défendre des positions ambitieuses lorsque les acteurs et les actrices du secteur le plus important pour l’économie du pays ne cessent de protester contre sa surréglementation. Suite au plan d’action de l’UE sur la finance durable adopté en 2018, plusieurs réglementations d’envergure ont vu le jour telles que la taxonomie ou le règlement sur la divulgation d’informations relatives au développement durable dans le secteur des services financiers. Bien que de nombreux acteurs et actrices du secteur financier estiment que ces réglementations changent la donne sur le marché des investissements responsables, il est important de souligner que le cadre réglementaire présente des lacunes et des insuffisances cruciales qui doivent être comblées afin d’atteindre les résultats souhaités.

À cela s’ajoute le fait que tous ces textes se focalisent sur la transparence qui est devenue l’approche privilégiée de l’UE pour inciter le marché à écarter lui-même les « mauvais élèves ». Or, le reporting à lui tout seul ne changera pas la donne – il doit être accompagné de mesures législatives contraignantes.

Les défis climatiques auxquels nous sommes confrontés exigent des actions beaucoup plus ambitieuses. Il est urgent de mettre en place au niveau européen un cadre réglementaire contraignant pour l’ensemble du secteur financier afin de respecter les objectifs de l’accord de Paris. Il est nécessaire d’introduire une obligation progressive pour le secteur financier de réduire ses investissements dans les entreprises des énergies fossiles et celles qui ne sont pas alignées sur l’accord de Paris. Pour atteindre ce but, le gouvernement doit mettre en place des objectifs clairs vérifiables à court, moyen et long terme, à la fois qualitatifs et quantitatifs.

La réduction de l’exposition du secteur financier luxembourgeois aux industries à forte intensité de carbone et non transformables permettrait non seulement de renforcer la lutte contre le changement climatique, mais aussi de mieux protéger le Luxembourg et son économie, qui dépendent largement de l’industrie financière, contre les risques systémiques liés à la dévalorisation des actifs non cessibles (ou « actifs échoués »).

Le prochain gouvernement doit aussi agir au niveau national 

Si le Luxembourg a souvent tendance à privilégier des « solutions » au niveau européen, le prochain gouvernement a pourtant la possibilité de mettre en place sans trop tarder certaines mesures au niveau national afin de rendre son secteur financier plus durable.

À commencer par ses propres entreprises et institutions : l’État détient des participations dans plusieurs entités du secteur financier qui jouent un rôle clé dans le financement d’une économie durable comme la Spuerkeess ou l’Office du Ducroire. Il doit montrer l’exemple et s’assurer que ses propres entités du secteur financier garantissent pleinement et immédiatement une conformité avec les normes internationales en matière de climat, environnement et droits humains.

Une autre priorité du prochain gouvernement devrait être la révision législative du mandat du Fonds de compensation (FDC) car il est inacceptable que les cotisations sociales des personnes employées dans le secteur privé au Luxembourg continuent à être investies dans des entreprises qui contribuent à détruire leur futur. Si certains partis semblent en faveur d’une révision de la loi sur le FDC afin d’y intégrer des critères sociaux et environnementaux stricts, d’autres estiment que les questions de durabilité relèvent de l’idéologie et devraient être écartées.

Le prochain gouvernement doit également s’attaquer de toute urgence à la question de l’éducation financière. La plupart des partis évoquent ce sujet dans leurs programmes mais les propos restent de nouveau assez vagues. Le futur gouvernement devrait promouvoir des offres alternatives en matière d’éducation financière, y compris celles qui véhiculent des perspectives critiques sur le secteur financier.

Un autre sujet bien présent dans les programmes des partis est la taxe d’abonnement payée par les fonds d’investissement qui s’élève à 0,05 % de la somme des actifs gérés. L’actuel gouvernement a introduit la possibilité d’une réduction progressive de cette taxe allant jusqu’à 0,01 % lorsque 50 % des actifs concernés peuvent être qualifiés de durables. Si la stratégie d’incitation fiscale pour diriger les investissements vers des activités durables semble à première vue bien-fondée, des questions se posent quant au niveau relativement bas des seuils et aux critères insuffisants appliqués en matière de durabilité. En même temps, sous la pression du lobby financier, certains partis souhaitent réduire la taxe d’abonnement pour tous les fonds, au nom de la compétitivité.

À sept ans d’échéances clés en matière de lutte contre le changement climatique et la pauvreté, les engagements des partis politiques ne semblent pas être à la hauteur des défis. Face aux multiples crises que nous traversons, le prochain gouvernement doit assumer ses responsabilités et mettre en place un cadre réglementaire ambitieux pour une finance plus durable. Le secteur doit arrêter de financer les entreprises climaticides et qui bafouent les droits humains et les flux financiers doivent être orientés vers une économie respectueuse de la nature et des personnes.


Cet article a été publié le 17.09.2023 dans la rubrique “Analyse und Meinung” du Luxemburger Wort.