Dans la salle de réunion, sur la longue table de bois, Xavier Turquin croise les doigts et, d’un sourire discret mais déterminé, assure à l’équipe de Greenpeace Luxembourg qu’il est prêt à prendre les rênes du bureau local de l’organisation.
« Avec le bon équipage, un navire traversera toutes les tempêtes jusqu’à sa destination. »
Le nouveau directeur a un parcours qu’il qualifie lui-même de classique : école de commerce, Big 4, puis burn-out pendant la crise du covid. Sa vie professionnelle ne correspond alors plus à ses valeurs. C’est l’une de ses filles — Xavier est père de quatre enfants — qui lui demande un jour « mais toi, Papa, qu’est-ce que tu fais au lieu de râler ? ».
Alors il décide de bifurquer, comme il dit, de changer de vie. Après tout, il en est convaincu, on peut vivre mieux avec moins. Si le monde du business lui avait appris la concurrence et la lutte pour la survie, il redécouvre la coopération, la rencontre avec l’autre, et remet en question les enjeux de domination, notamment de l’humain sur la nature. Il interroge notre modèle économique, en particulier grâce aux travaux de Johann Rockström et Kate Raworth, qui guident sa réflexion. Assis à côté de Jean-François Julliard, directeur de Greenpeace France qui l’accompagne ce jour-là, il paraphrase Timothée Parrique, économiste spécialiste de la décroissance : « il est temps de reconsidérer nos besoins. Avons-nous vraiment besoin de toujours plus ? D’exploiter les ressources matérielles et l’humain jusqu’à son épuisement ? Ne faudrait-il pas ralentir pour mieux vivre ? »
Pourtant, le premier déclic de Xavier en faveur de l’environnement remonte à plus loin.
« J’ai épousé une biologiste » s’amuse-t-il, les yeux brillants. « Elle m’a montré toutes ces choses que je ne voyais pas, en forêt, les liens entre les différents organismes… et puis j’ai eu des enfants. » Mais comme beaucoup d’entre nous, regrette-t-il, il attend trop souvent que « l’autre » agisse à sa place : les grandes entreprises, les gouvernements, le patron, la voisine… « pourtant, nous devons toutes et tous nous unir et collaborer pour un monde meilleur. C’est comme dans un stade de foot : si je suis seul à crier, personne ne m’entendra. Mais si tous les gradins s’y mettent, alors ça devient exceptionnel. »
Dans la salle de réunion à Esch-sur-Alzette, Xavier Turquin assure que Greenpeace, de par son histoire, sa création, est un levier pour faire bouger et avancer les choses. « Je ne veux pas donner de coup de pied dans la fourmilière, parce que je suis non-violent, mais vous voyez l’idée », précise-t-il, taquin. « Si aujourd’hui certaines images nous choquent, comme les marées noires ou bien des déchets nucléaires déversés dans la mer, c’est parce que des associations comme Greenpeace ont dénoncé ces crimes environnementaux. J’espère que dans quelques années, l’inaction contre le réchauffement climatique scandalisera tout autant. C’est pour ça que je suis là aujourd’hui. »
Pour Xavier, la mission de Greenpeace Luxembourg est claire : faire prendre conscience de la place de l’écologie dans le système luxembourgeois, un petit pays à l’économie forte. Il souhaite valoriser un PIB bien-être et s’affranchir de la compétition entre les pays du monde. Les grands défis du bureau local, estime-t-il, vont être de ne pas se disperser, et de concentrer les forces disponibles pour être le plus efficace possible. Et s’il s’inquiète de la criminalisation de l’activisme à travers la planète, il se dit « serein » pour la prise de ses fonctions de directeur.
Car Greenpeace et les activistes qui, chaque jour, s’opposent aux crimes environnementaux, ne sont pas là pour le plaisir d’embêter les gens mais bien pour réveiller les consciences. « La baisse des rendements agricoles observée cet été, par exemple, ne vient pas de nulle part. C’est la conséquence de décisions politiques, dénoncées depuis des décennies par les scientifiques et la société civile. Nous faire entendre, voilà sans doute notre plus grand défi. »
Et c’est justement parce que l’enjeu est de taille que Greenpeace Luxembourg doit, plus que jamais, conserver son indépendance vis-à-vis de toute forme de pouvoir. « Nous continuerons de défendre notre intégrité en tant qu’organisation, promet-t-il, en restant libres des influences et pressions que nous pouvons subir. Et la force de résister, elle vient de nos équipes, de nos bénévoles et de nos donateurs et donatrices. L’argent doit cesser d’être un tabou : c’est un moyen, un simple outil, qui doit nous aider à œuvrer pour un monde meilleur. »
Lorsque s’achève sa première journée au 34 avenue de la gare, Xavier Turquin a le cœur léger.« Aujourd’hui, je sais ce que je fais. Je vais enfin pouvoir regarder mes enfants droit dans les yeux et leur dire que j’ai essayé. Est-ce que nous allons réussir ? Je ne sais pas. Mais je sais que nous allons échouer si nous n’essayons pas. De toute mon âme, j’espère que les générations suivantes penseront à nous comme de bons ancêtres. Je veux être fier de l’héritage que je laisserai. Nous sommes capables de léguer mieux qu’une planète en souffrance, j’en suis persuadé. Il suffit d’agir, concrètement. Et c’est ce que nous allons faire. »