Quelques jours après une action démontrant la vulnérabilité de l’usine de la Hague, un rapport d’experts indépendants commandé par Greenpeace France met en lumière la quantité colossale de déchets nucléaires produite dans le monde et l’absence totale de solution fiable et sûre pour les gérer. Shaun Burnie, chargé de campagne de Greenpeace Allemagne, coordinateur de cette publication, revient sur les principaux défis que pose le lourd héritage des déchets radioactifs.

Sommes-nous réellement face à une « crise mondiale des déchets nucléaires », titre du rapport que vous avez coordonné ?
Shaun Burnie : Nous sommes effectivement face à une crise mondiale des déchets nucléaires qui touche l’ensemble de l’industrie nucléaire, mais qui est en grande partie dissimulée au public. Chaque pays qui a exploité ou continue d’exploiter des réacteurs nucléaires et des installations associées à cette énergie (extraction, traitement, enrichissement et retraitement de l’uranium) a un « héritage » de déchets nucléaires. Et aucun n’a trouvé de solution viable pour les gérer. Ce problème ne disparaîtra pas de sitôt, avec des matières radioactives qui resteront dangereuses pendant des dizaines, des centaines, voire des centaines de milliers d’années.

Les dangers sont multiples et dépendent du type de déchets. Par exemple, les millions de tonnes de déchets issus de l’extraction d’uranium resteront radioactifs pendant un million d’années, exposant les communautés en première ligne et l’environnement dans lequel ces déchets sont rejetés.

Autre déchet nucléaire qui constitue l’une des menaces les plus importantes : le combustible usé, hautement radioactif, qui est sorti des réacteurs nucléaires après utilisation. Au moins 12 000 tonnes de ce combustible irradié sont produites chaque année dans le monde. Il continue de s’accumuler sur les sites des réacteurs nucléaires dans des piscines d’entreposage, en France et dans tous les pays où des réacteurs sont encore en exploitation. La catastrophe de Fukushima Daiichi en 2011 a mis en évidence les risques catastrophiques potentiels de perte de la fonction de refroidissement de ces piscines. Cette menace existe dans toutes les centrales nucléaires avec des piscines remplies de combustible usé, ce qui est le cas en France.

Quels sont les problèmes cruciaux que posent les projets de stockage de déchets nucléaires en profondeur, comme celui de Cigéo à Bure ?
S.B. : Tous les efforts afin de trouver des options sûres et sécurisées pour se débarrasser définitivement du combustible usé et d’autres déchets radioactifs de haute activité ont échoué. L’industrie nucléaire affirme que les déchets peuvent être stockés de manière sûre et que des projets de stockage souterrain géologique sont en cours, notamment en Suède et en Finlande. En réalité, aucun des problèmes majeurs en matière de sécurité et d’environnement n’a été résolu. Des questions techniques majeures ne sont pas réglées, telles que l’incapacité des conteneurs à résister à la corrosion et à éviter tout rejet de radioactivité dans l’environnement.

Les experts que nous avons mandatés ont travaillé indépendamment les uns des autres, mais ont identifié des problèmes communs qui rendent les projets de stockage géologique (comme celui de Cigéo à Bure) douteux du point de vue environnemental, de la sûreté nucléaire, de la santé humaine et de la société. Les dangers communs de ces projets, aussi bien durant la phase opérationnelle (c’est-à-dire pendant les cent premières années au cours desquelles les infrastructures souterraines sont construites et remplies avec les déchets nucléaires), qu’à très long terme, sont les suivants :

  • risques d’incendie, y compris explosion, défaillance des conteneurs et rejet de gaz radioactifs dans l’environnement ;
  • risques d’inondation qui auraient un impact sur les conteneurs et pourraient provoquer une contamination de l’environnement ;
  • défis techniques concernant la robustesse et la résistance à la corrosion des conteneurs de stockage ;
  • coûts inconnus et croissants qui constitueront un fardeau pour les générations futures ;
  • concept de réversibilité (qui permettrait de sortir les déchets si une option moins mauvaise était trouvée) fondamentalement défectueux, au-delà de quelques générations ;
  • compte tenu des délais durant lesquels les déchets nucléaires restent une menace, la question de l’instabilité sociale au cours des décennies et des siècles à venir reste sans réponse.

Si l’option de l’enfouissement profond des déchets nucléaires ne fonctionne pas, pourquoi tant d’États la soutiennent-ils encore ?
S.B. : Cela reflète des décennies d’investissement institutionnel, scientifique, industriel et politique pour présenter au public une « solution » aux déchets nucléaires. Les options alternatives qui ont été étudiées, proposées et, dans le cas de l’immersion en mer, mises en œuvre (jusqu’à l’interdiction en vertu de la Convention de Londres des Nations unies), se sont toutes révélées non viables ou inacceptables.

Admettre officiellement que les projets de stockage géologique ne sont pas la « solution » aux déchets nucléaires nuirait à une industrie nucléaire mondiale déjà sur le déclin. Les déchets radioactifs font partie des principales préoccupations dans les enquêtes d’opinion sur le nucléaire. Préserver le mythe selon lequel une « solution » aux déchets nucléaires se profilerait à l’horizon est essentiel à la survie du parc actuel de réacteurs nucléaires.

Les coûts du nucléaire et de la gestion des déchets radioactifs ne cessent d’augmenter. Que devraient faire les entreprises et les États face à cette incertitude et à ce fardeau financier ?
S.B. : La gestion des déchets nucléaires, surtout sur le long terme, implique des coûts finaux énormes et inconnus qui pèseront très certainement bien au-delà de la durée de vie de la plupart (pour ne pas dire tous) des opérateurs de réacteurs nucléaires. Le système actuel de provisionnement de fonds pour la gestion des déchets nucléaires et le démantèlement des infrastructures varie considérablement d’un pays à l’autre. Mais en règle générale, ces fonds ne suffiront pas à gérer les déchets nucléaires compte tenu des délais nécessaires. Il est donc primordial que la société soit informée de la crise financière qui découle de la crise des déchets nucléaires. Seule une transparence maximale sur ces questions permettra à la société de commencer à s’attaquer aux mécanismes de financement complexes qui seront nécessaires non seulement pour la génération à venir, mais potentiellement des milliers de générations futures.

En premier lieu, les exploitants devraient être tenus de fournir des estimations de coût crédibles, qui devraient être régulièrement examinées par des experts indépendants. Jusqu’à ce que l’industrie nucléaire cesse d’en générer, tous les coûts des déchets nucléaires existants devraient être entièrement couverts par ceux qui les ont produits. Contrairement à ce qui se fait couramment par le biais de véritables nationalisations des déchets par les gouvernements, ce ne devrait pas être aux contribuables d’assumer ces coûts.

Cela renforce la nécessité de réduire autant que possible le fardeau des déchets radioactifs en mettant progressivement un terme à l’industrie qui les génère, à l’exploitation des réacteurs nucléaires et à la chaîne du combustible nucléaire en général.

Il est temps d’agir ! Ensemble, mettons une fin au risque nucléaire :

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Pour en savoir plus sur les déchets nucléaires :
« La crise mondiale des déchets nucléaires » (rapport 2019 commandé par Greenpeace France)
Sécurité nucléaire : action sur la piscine du site Orano de la Hague
La Hague : l’overdose nucléaire – ou comment l’une des régions les plus nucléarisées au monde concentre l’ensemble des problèmes liés à l’industrie nucléaire et aux déchets radioactifs

 

Article Source : Greenpeace France