Kinshasa, 14 juin 2022 – Contrairement aux assurances de Didier Budimbu, ministre des Hydrocarbures de la République démocratique du Congo (RDC), pas moins de neuf blocs pétroliers à être mis aux enchères le mois prochain chevauchent des aires protégées, selon un examen des cartes officielles par Greenpeace Afrique. Le ministre le reconnaît ce lundi 13 juin dans une correspondance à Greenpeace.

Pas moins de neuf blocs pétroliers à être mis aux enchères le mois prochain chevauchent des aires protégées*

Soucieux de calmer les bailleurs de fonds qui lui avaient pourtant donné leur feu vert, M. Budimbu n’avait cessé de le répéter : « aucun » des seize blocs pétroliers qui seront soumis à appel d’offres fin juillet ne se trouve dans une aire protégée – aucun.

Mais les cartes officielles indiquent le contraire.

« L’Atlas forestier de la République démocratique du Congo », œuvre du ministère de l’Environnement et Développement durable, montre que pas moins de neuf des blocs à brader chevauchent des aires protégées : un parc national, des réserves naturelles, une réserve de biosphère, le parc marin des mangroves…*

« La contradiction avec les propos de M. Budimbu est si flagrante qu’on s’était  demandé si celui-ci, sans avoir soufflé mot à personne, aurait pris soin de modifier les limites des blocs en question pour contourner ces joyaux du patrimoine », a déclaré Irène Wabiwa Betoko, cheffe de la campagne forêt chez Greenpeace Afrique. Elle ajoute: « Mais c’est pas du tout ce qui s’est passé. Le ministre nous écrit qu’en fait il y a bien chevauchement “très négligeable” des aires protégées. Au public congolais il avait donc menti. »

Le document du ministère affirme que contrairement aux aires protégées inscrites au patrimoine universel de l’UNESCO, “Certaines aires protégées empiétées dans une proportion très négligeable par quelques blocs pétroliers, relèvent de la gestion exclusive de la RDC via le Ministère de l’Environnement et Développement Durable ainsi que l’Institut Congolais pour la Conservation de la Nature, ICCN en sigle”. 

« Bien que, en matière d’hydrocarbures, la loi congolaise ne fasse aucun distinguo entre sites de l’UNESCO et autres aires protégées, pour M. Budimbu il y a deux poids deux mesures », poursuit Irène Wabiwa. 

Le ministre profite de l’occasion pour jeter un regard critique envers le ministère de l’Environnement et Développement Durable, fustigeant «  la présence [de] plusieurs titres forestiers, chevauchant les aires protégées et d’autres en sont mêmes dans une certaine proportion, contiguës. De cette observation rapide, il est évident que, comparativement aux activités d’hydrocarbures qui du reste sont spécifiques et sélectives, portant sur la potentialité du sous-sol, c’est plutôt celles liées à l’exploitation forestière menées en surface et sub-surface, qui exercent une forte et grande pression sur les écosystèmes ».

Le 16 mai, c’est le propre ministère de M. Budimbu qui avait publié une vidéo où on voyait – un peu rapidement, il est vrai – une carte indiquant six des seize blocs, ainsi que les aires protégées du pays.

Cinq d’entre eux chevauchent les aires protégées voisines.

La voix-off, imperturbable, ne tarit pas d’éloges pour la « méticulosité » avec laquelle on avait « sélectionné » les zones à pomper, pour ménager tout ce qui est « sensibilités » environnementales.

« Ce niveau de professionnalisme, on le retrouve également chez les partenaires de l’Initiative pour la forêt d’Afrique centrale (CAFI), ceux qui ont signé avec le Président Tshisekedi un accord de 500 millions de dollars à la COP26 en novembre dernier », affirme Irène Wabiwa.

« Si ces bailleurs pas très écolos n’ont rien fait pour que les tourbières de la Cuvette centrale soient un peu protégées des convoitises des multinationales néocoloniales – trois des blocs pétroliers sont concernés –, ils n’étaient guère plus exigeants quant à l’intégrité des aires protégées. Au lieu de bannir les majors des aires protégées, la lettre d’intention CAFI demande seulement à ce que les choses innommables que les compagnies aimeraient y faire ne soient pas “incompatible[s] avec les objectifs de conservation” » poursuit-elle.

L’accord demande à ce que soit réalisée, avant fin 2023, « une analyse pour déterminer dans quelle mesure les titres […] des hydrocarbures chevauchent avec et/ou ont un impact sur les aires protégées, […] en vue d’adopter des mesures de prévention ou d’atténuation adaptées […] ». Difficile de faire plus cynique : se passer pour des défenseurs du climat, voire de l’environnement, tout en se cantonnant à un modeste effort de limitation des dégâts.

Il est vrai que des fois la partie congolaise, dans ses moments d’inattention, laisse tomber tout à fait les bons usages. Lors de son passage le 23 mai 2022 sur le plateau de TV5Monde, M. Budimbu a lancé : « On sait tous que les énergies fossiles tendent vers la fin, donc nous avons intérêt à pouvoir exploiter ça maintenant ».

En plus de son rétropédalage, la missive que nous avons reçue de M. Budimbu contient une nouvelle assez explosive, et on se demande depuis combien de temps les bailleurs sont au courant : « Il a été décidé » nous informe-t-il mine de rien, « que les aires protégées regorgeant des ressources naturelles à valeur économique élevée dans leur sous-sol fassent [l’objet] de déclassement conformément à la loi […]. »

A noter que le bloc n°18, un des rares à ne pas empiéter sur une aire protégée, se trouve à une vingtaine de kilomètres du parc national de la Salonga, inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO.

En juillet 2021, la RDC a réussi l’exploit de faire retirer Salonga de la Liste du patrimoine mondial en péril en échange d’une promesse de faire parvenir à l’UNESCO, au plus tard le 1 février 2022, un petit mot sur « les progrès réalisés en vue de l’annulation définitive des concessions pétrolières » qui s’y trouvent.

« Si, bien entendu, la RDC n’a pas cru bon de respecter cette exigence, il y a un mois elle signale que le comité de pilotage du parc a décidé, le 14 décembre 2021,  “ d’ amorcer des actions pour l’annulation ” des blocs. Drôle de façon de sauver la planète : au lieu d’agir, on amorce des actions pour agir ! » ajoute Irène Wabiwa.

« Au lieu de piloter automatiquement le Congo vers une catastrophe climatique, le gouvernement et la communauté internationale doivent investir pour mettre fin à la pauvreté énergétique en investissant dans les énergies propres et renouvelables », conclut-elle.

Greenpeace Afrique appelle le gouvernement de la RDC à annuler la mise aux enchères de nouveaux blocs pétroliers.

* Il s’agit notamment des aires protégées suivantes :

Bloc 22 : Réserve Tumba Ledima

Bloc 25 : Réserve zoologique et forestière de la Bombo-Lumene,

Domaine de chasse de la Bombo-Lumene

Bloc 4 : Réserve forestière de Lomako-Yokokala,

Bloc 4b : Réserve naturelle de bonobo de Koko Lopori,

Réserve scientifique de la Luo,

Réserve communautaire des bonobos d’Iyondji

Bloc 6 : Réserve de biosphère de Yangambi

Bloc Upemba : Parc national de l’Upemba

Bloc Matamba – Makanzi : Parc national des mangroves

Bloc 03 : Domaine de chasse de Fizi,

Réserve naturelle de Ngandja

Bloc 11: Domaine de chasse de Luama Katanga,

Réserve de faune de Kabobo

FIN

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