Je navigue actuellement à bord du magnifique Esperanza de Greenpeace dans le cadre d’une expédition baptisée Espoir en l’Afrique de l’Ouest  et destinée à protéger les ressources halieutiques inestimables de la région. Au titre de nos travaux d’enquête et de recherche dans les eaux mauritaniennes, nous recherchons des bateaux de pêche et documentons leurs activités. Je suis chargé de campagne océans au bureau Asie de l’Est de Greenpeace, à Beijing. J’accorde donc une attention toute particulière aux bateaux de pêche chinois opérant dans les eaux mauritaniennes, dont certains depuis des décennies.

C’est la première fois que je parcours les eaux ouest-africaines, et rencontrer des navires chinois de l’autre côté de la planète me mets dans un curieux état. Bien que je fasse des recherches sur le secteur de la pêche hauturière chinoise, j’ai toujours ressenti le besoin de partager une expérience directe et réelle avec des pêcheurs chinois. Communiquer directement avec eux me permettrait non seulement de mieux connaître l’état de la pêche en tant que tel, mais aussi de mieux comprendre la mentalité des pêcheurs.

Fort heureusement, l’occasion d’un tel contact se présente lorsque nous naviguons près de Nouakchott en Mauritanie. Nous repérons un bateau chinois, le Fuyuanyu. Mike, le capitaine de l’Esperanza m’autorise à aller parler à l’équipage et à essayer de monter à bord.

Alors que nous approchons du Fuyuanyu, tous les pêcheurs s’arrêtent de travailler pour nous regarder. Pour les mettre à l’aise, je les salue en mandarin et ils semblent à la fois surpris et heureux de voir un autre compatriote. Ils me répondent et je demande au capitaine du Fuyuanyu si nous pouvons monter à bord pour voir quels types de poissons ils pêchent. Rassuré par le fait que nous ne faisons pas partie des autorités des pêches locales, le capitaine du Fuyuanyu nous autorise à monter à bord.

Le capitaine chinois, M. Zheng, se montre alors très sincère avec nous, exprimant sa satisfaction quant aux prises effectuées. Il affirme qu’habituellement la pêche est bonne et ajoute même que « parfois les prises sont excessives. Les congélateurs sont pleins de poissons et il n’y a plus d’espace pour en mettre davantage. Nous sommes donc obligés de rejeter des tonnes de poissons que nous avons pêchés. » Sachant qu’il faut trois à quatre heures pour trier le poisson pêché, cela signifie qu’à la fin du processus, les espèces non désirées sont mortes. Alors qu’il y a de moins en moins de poissons dans les eaux ouest-africaines, c’est déchirant d’imaginer des tonnes de poissons capturées et rejetées en mer, morts.

Il est midi, et à cause du soleil, la plupart des poissons qu’ils recherchent ne sont pas présents à proximité de la surface. Il est donc décidé qu’aucune activité de pêche ne se déroulera pendant un moment. Toutefois, le capitaine nous autorise à visiter le bateau une deuxième fois, après le coucher du soleil, afin d’assister à tout le processus de pêche.

Vers 18h, nous contactons le capitaine Zheng par radio afin de nous assurer que son invitation tient toujours. Sa réponse étant positive, notre photographe, notre caméraman et moi-même partons à bord d’un zodiac, puis remontons à bord du Fuyuanyu. Le capitaine m’a prévenu que si nous voulons enregistrer l’ensemble du processus de pêche, nous devons rester sur son bateau jusqu’à minuit, ce qui signifie passer près de six heures sur le Fuyuanyu. Considérant qu’il s’agit là d’une chance unique de documenter toute la palette des activités de pêche et d’interviewer un capitaine de pêche chinois, nous décidons de rester.

Après que l’équipage a jeté ses engins de pêche à l’eau, nous allons dans la cabine du capitaine Zheng et commençons nos quatre heures d’attente. Avec lui, nous parlons beaucoup de son équipage, de son bateau, de son entreprise et même de sa famille. Il nous révèle que sur les 20 membres d’équipage à bord, 10 sont chinois et les 10 autres mauritaniens. La plupart des membres d’équipage chinois n’ont pas revu leur pays depuis près de deux ans. En dehors du travail, les échanges sont rares entre les deux groupes, et ils vivent dans des chambres séparées. Le capitaine avoue qu’il a été obligé de recruter des Mauritaniens en raison de l’accord qui lie son employeur au gouvernement (pour en savoir plus sur la vie à bord d’un bateau de pêche chinois en Afrique de l’Ouest). Au cours de notre conversation, je trouve une chose très intéressante : même lui, le capitaine d’un bateau de pêche chinois, sait combien les navires de pêche industriels font de dégâts de nos jours. Il affirme en fixant la caméra, et avec une pointe de fierté : Partout où nous passerons, il ne restera pas un seul poisson dans l’océan.

Lorsque nous quittons le Fuyuanyu cette nuit-là, le capitaine vient à peine de demander à son équipage de trier deux immenses sacs de poissons fraîchement pêchés, qui occupent déjà quasiment tout le pont, et il en reste trois autres à remonter sur le bateau. En regardant la montagne de poissons sur le pont, je n’arrête pas de me poser des questions. En plus des bateaux chinois, il y a des centaines d’autres navires étrangers qui pêchent dans les eaux ouest-africaines. Leurs équipages pensent-ils comme le capitaine Zheng ? A quelle hauteur participent-ils à la destruction des ressources halieutiques de la région ? Et, en l’absence d’un plan de gestion adéquat de la part des autorités locales, combien de temps les ressources halieutiques ouest-africaines pourront-elles encore supporter de tels efforts de pêche ?

Par Bolei Liu, chargé de campagne océans, Greenpeace Asie de l’Est

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