Dans ce qui constitue rupture nette des engagements fédéraux en matière de climat et de respect des droits des peuples autochtones, le gouvernement Carney a signé un protocole d’entente avec l’Alberta pour construire un nouveau pipeline de sables bitumineux, une décision qui revient sur des politiques climatiques essentielles et porte atteinte aux droits des peuples autochtones.

Avant l’annonce, on croyait que le gouvernement Carney supprimerait le plafond fédéral sur les émissions du secteur pétrolier et gazier afin d’obtenir le soutien de l’Alberta pour son système de tarification du carbone industriel. Cet appui n’était pourtant pas nécessaire, puisque le gouvernement fédéral avait déjà obtenu gain de cause à ce sujet devant la Cour suprême. On s’attendait également à ce qu’il s’engage à discuter de la construction d’un nouvel oléoduc.

Cependant, l’entente va beaucoup plus loin. Le gouvernement fédéral accepte maintenant de limiter ou de supprimer plusieurs politiques climatiques essentielles : les limites sur la pollution du secteur pétrolier et gazier; les objectifs de réduction du méthane; les normes sur les émissions du secteur de l’électricité; la tarification du carbone pour les industries; les exigences liées au captage de carbone; les évaluations d’impact; le moratoire sur les pétroliers; et même les protections contre l’écoblanchiment (voir le tableau ci-dessous pour plus de détails). Et tout cela, en retour d’un engagement de l’Alberta à faire moins que ce que la loi lui impose déjà en matière de tarification du carbone industriel.

Un nouveau pipeline entre l’Alberta et la Colombie-Britannique? Dans la situation actuelle?

Le protocole d’entente prévoit aussi un plan détaillé pour faire passer un nouvel oléoduc d’un million de barils par jour à travers la Colombie-Britannique, et ce, malgré les fortes objections du gouvernement provincial et des Premières Nations côtières, qui ont été complètement exclues des négociations. Le projet de captage de carbone proposé d’Alliance nouvelles voies, qui aurait auparavant dû se conformer au plafond d’émissions de gaz à effet de serre, ne pourra désormais être mis en œuvre que si la construction du nouveau pipeline est lancée.

Le plan climatique du Canada était loin d’être parfait, mais ce protocole d’entente l’affaiblit considérablement. L’Alberta est de loin la plus grande source de pollution carbone au pays, et cet accord pourrait inciter d’autres provinces à demander les mêmes exemptions aux règles fédérales.

Ce que contient réellement le protocole d’entente entre le fédéral et l’AlbertaAvant le protocole d’entente
Pétrole et gaz
Engagement à augmenter la production de pétrole et de gaz en Alberta, sans aucune limite sur la pollution carbone générée par ce secteur.
 
Réduction du plafond des émissions du secteur pétrolier et gazier (la réglementation a été publiée dans la Gazette du Canada en novembre 2024, mais n’a pas encore été finalisée).
Report de 5 ans des réductions de méthane, avec un nouvel objectif de 75 % d’ici 2035.Réduire les émissions de méthane provenant de la production pétrolière et gazière de 75 % d’ici 2030.
Plafonnement du prix du carbone industriel à 130 $ la tonne, sans échéancier pour atteindre ce seuil.La tarification du carbone industrielle, actuellement fixée à 95 $ la tonne, augmente de 15 $ par année jusqu’à atteindre 170 $ la tonne en 2030.
La production pétrolière carboneutre n’est plus un objectif. Le protocole d’entente s’engage plutôt à réduire l’intensité des émissions du pétrole lourd canadien afin d’atteindre le niveau le plus bas de sa catégorie par rapport à la moyenne du pétrole lourd d’ici 2050.Le secteur pétrolier et gazier devait atteindre la carboneutralité d’ici 2050. Le captage de carbone dépend désormais de la construction d’un nouvel oléoduc plutôt que d’être encadré par la réglementation, ce qui revient à dire : pas de pipeline, pas de captage de carbone.
Les allégements fiscaux pour le captage de carbone peuvent désormais servir à la récupération assistée du pétrole, c’est-à-dire utiliser le carbone capté pour extraire du pétrole qui resterait autrement enfoui dans des réservoirs épuisés.Les allégements fiscaux pour le captage de carbone ne peuvent pas être utilisés pour la récupération assistée du pétrole.
Allocation de subventions publiques supplémentaires, non précisées, pour le projet de captage de carbone d’Alliance nouvelles voies.Les gouvernements fédéral et albertain devaient couvrir respectivement 50 % et 12 % des coûts d’investissement liés au captage de carbone.
Éléctricité
L’Alberta est exemptée du Règlement sur l’électricité propre. D’autres provinces exigeront sans doute le même traitement.Toutes les provinces et tous les territoires étaient assujettis au Règlement sur l’électricité propre.
Report de 15 ans de l’objectif visant l’atteinte de la carboneutralité dans le secteur de l’électricité; la cible révisée est maintenant l’« atteinte de la carboneutralité dans le secteur de l’électricité d’ici 2050 ».Le Règlement sur l’électricité propre visait à « mettre le Canada sur la bonne voie d’ici 2035 pour atteindre ses objectifs de réseau électrique carboneutre et d’économie carboneutre d’ici 2050. »
Renforcement du réseau de transport d’électricité visant à accroître la capacité des marchés de l’Ouest à fournir de l’énergie à faible teneur en carbone aux secteurs du pétrole, du gaz naturel liquéfié, des minéraux critiques, de l’agriculture, des centres de données et des industries de captage et de stockage de carbone.Les améliorations au réseau de transport d’électricité visaient à soutenir la transition vers la carboneutralité.
Pipelines
Le gouvernement du Canada s’engage à désigner le nouveau pipeline de sables bitumineux comme projet d’intérêt national en vertu de la Loi visant à bâtir le Canada , afin de le préautoriser et de l’exempter des lois environnementales.Tous les projets pipeliniers doivent se conformer aux lois environnementales.
Engagement explicite, au besoin, à modifier la Loi sur le moratoire relatif aux pétroliers, malgré l’opposition clairement exprimée des Premières Nations concernées.Les pétroliers sont interdits dans les eaux dangereuses du nord de la Colombie-Britannique.
Négociation d’une entente susceptible de se solder par une absence d’évaluations d’impact fédérales pour les projets relevant de la compétence provinciale.Des évaluations d’impact fédérales sont réalisées pour les projets désignés en vertu de la Loi sur l’évaluation d’impact
Écoblanchiment
Il est désormais plus facile pour les entreprises de tromper le public. La législation contre l’écoblanchiment sera affaiblie, notamment en retirant l’obligation pour les entreprises de prouver leurs affirmations environnementales selon une méthodologie reconnue internationalement et en éliminant le droit d’intenter des actions en justice.Les entreprises doivent être en mesure de démontrer que leurs allégations environnementales sont véridiques en s’appuyant sur une méthodologie reconnue internationalement. Cette exigence est importante, car elles pourraient autrement inventer leur propre méthodologie et prétendre qu’elle est adéquate.

La signature du protocole d’entente a suscité une vive réaction de la part des nations autochtones. Alors que les Premières Nations côtières ont toujours affirmé qu’elles n’accepteraient pas la présence de pétroliers dans leurs eaux, le gouvernement fédéral ne les a pas consultées avant de conclure l’entente.

L’Assemblée des Premières Nations a convoqué une rencontre d’urgence afin d’adopter une résolution demandant « le retrait immédiat du protocole d’entente entre le Canada et l’Alberta, ainsi que de tout projet envisagé dans ce cadre qui pourrait porter atteinte aux droits des Premières Nations, y compris leur droit à l’autodétermination ».

Une stratégie qui interroge

Certains prétendent que Carney aurait accepté ce protocole d’entente en pensant que le pipeline ne sera jamais construit en raison de l’opposition en Colombie-Britannique et chez les Premières Nations, et qu’il aurait ainsi pu obtenir l’appui de l’Alberta pour la tarification du carbone industriel sans jamais avoir à livrer l’oléoduc en question.Cette théorie ne tient pas la route pour plusieurs raisons.

Premièrement, utiliser les droits autochtones comme monnaie d’échange cause un tort immense au processus de réconciliation. Cela oblige les Premières Nations à défendre leurs droits devant un système qui, par le passé, n’a pas hésité à recourir à la répression, comme nous l’avons vu avec les Wet’suwet’en et le projet Coastal GasLink.

Source: Unist’ot’en Camp
Source: APTN

Deuxièmement, pourquoi la première ministre de l’Alberta respecterait-elle son engagement sur la tarification du carbone si le gouvernement fédéral ne livre pas l’oléoduc? Le gouvernement Trudeau a acheté et construit le pipeline Trans Mountain en échange de l’appui de l’Alberta aux politiques climatiques fédérales, et l’Alberta n’a pas respecté cet accord.

Troisièmement, croire que la tarification du carbone industrielle peut remplacer toutes les autres politiques climatiques est naïf. Dans le secteur de l’électricité, par exemple, les énergies renouvelables sont déjà moins coûteuses. L’Alberta impose pourtant des barrières réglementaires pour protéger la place du gaz naturel.

Plus tôt dans l’année, j’écrivais que l’industrie pétrolière ne cherche pas vraiment un nouvel oléoduc, mais qu’elle se sert de cette demande pour éliminer les politiques climatiques fédérales. Aujourd’hui, on voit bien que cette stratégie a porté fruit.