Depuis huit ans, une bombe à retardement flotte au large de la côte ouest du Yémen, sur la mer Rouge.


Images satellite montrant les navires de sauvetage NDEAVOR et NAUTICA (désormais rebaptisé YEMEN) à côté ou à proximité du pétrolier FSO SAFER au large des côtes du Yémen, dans la mer Rouge, les 19 et 20 juillet 2023. 20/07/2023

Lorsque la guerre civile a éclaté au Yémen, le FSO Safer, un pétrolier rouillé utilisé pour stocker du pétrole, a été laissé à l’abandon en 2015 avec un équipage réduit à son bord.

Il contenait plus de 1,1 million de barils de pétrole brut, soit quatre fois plus que la quantité de pétrole déversée lors de la catastrophe de l’Exxon Valdez en Alaska en 1989.

En raison de la corrosion de la coque du navire et de l’absence d’entretien régulier du bateau, le risque de fuite et d’explosion augmentait de jour en jour. Le système d’extinction des incendies étant en panne et d’autres procédures essentielles ayant été interrompues, le navire était devenu une véritable bombe à retardement. La moindre étincelle aurait pu provoquer un incendie.

Une fuite majeure ou une explosion aurait été une véritable catastrophe environnementale et humanitaire. Elle aurait engendré des dégâts irréparables sur l’écosystème de la mer Rouge – l’un des plus riches en termes de biodiversité au monde – et compromis les moyens de subsistance des populations côtières vivant dans cette région du monde. Ceci aurait pu entraver l’acheminement urgent de l’aide humanitaire au Yémen, provoquer des niveaux de pollution atmosphérique élevés dans la région et perturber l’approvisionnement en eau dans la mer Rouge.

En 2020, Greenpeace MENA (Moyen-Orient et Afrique du Nord) ne disposait que d’une petite équipe de campagne, mais connaissant la menace que représentait le Safer pour cette zone, elle savait qu’il lui fallait agir au plus vite.

En collaboration avec le Bureau international de Greenpeace, le personnel a ainsi mobilisé une équipe d’intervention qui a envoyé une lettre au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies (ONU). Cette lettre demandait à l’ONU de fournir les ressources nécessaires pour décharger le pétrole stocké à bord du Safer.

Par la suite, l’équipe a publié un rapport scientifique, en arabe et en anglais, montrant les répercussions qu’aurait une explosion du Safer ou une marée noire sur le Yémen et les pays voisins.

« La réaction a été immédiate », a déclaré Julien Jreissati, directeur de programmes de Greenpeace MENA. Jusqu’alors, le problème n’avait pas suscité beaucoup d’attention dans la région. Après la publication du rapport de Greenpeace, le Safer « a enfin fait parler de lui » dans les pays les plus exposés à une éventuelle catastrophe et a commencé à faire l’objet d’une couverture médiatique internationale.

Cinq jours seulement après la parution du rapport, une impasse politique capitale a pu être débloquée. Un premier accord verbal a été conclu entre l’ONU et les autorités en place à ce moment-là Sanaa, au Yémen, pour autoriser le transfert du pétrole entre le Safer et un autre pétrolier.

Il ne restait plus qu’un seul problème à régler. Au moment où la guerre est survenue au Yémen, les compagnies pétrolières multinationales ayant utilisé le Safer pour stocker leur pétrole avaient pris la clé des champs, laissant l’ONU seule pour recueillir les fonds nécessaires pour mener cette opération de sauvetage.

Pour soutenir les activités de collecte de fonds de l’ONU, l’équipe de Greenpeace a envoyé à ses collègues des autres bureaux à travers le monde une pétition à faire signer à leurs sympathisant·es et appelant leur gouvernement respectif à contribuer à cet effort.

Des sources de l’ONU affirment que les interventions de Greenpeace ont été déterminantes dans cette opération. En septembre 2022, lors d’une conférence de presse à New York, le Coordonnateur résident et Coordonnateur des opérations humanitaires des Nations Unies au Yémen a remercié Greenpeace pour son aide lorsqu’il a annoncé que les Nations Unies avaient enfin réuni suffisamment d’argent pour commencer l’opération de sauvetage.

Au cours de cette longue campagne, l’équipe d’intervention a recueilli des renseignements en travaillant en étroite collaboration avec des allié·es dans la région, comme des organisations humanitaires internationales et le groupe environnemental Holm Akhdar, tout en participant à des discussions avec des agences de l’ONU et certaines de leurs relations gouvernementales. Elle a également mis en place à bord du Safer des plans de secours en cas d’urgence.

Toutefois, l’élément le plus déterminant a été pour l’équipe de veiller à ce que l’affaire reste dans l’esprit du public ainsi que sur le devant de la scène internationale en transmettant aux médias et aux Nations Unies une analyse approfondie et en lançant des appels à la mobilisation aux sympathisant·es de Greenpeace.

Ainsi, le 18 juillet 2023, le Yémen, un pétrolier de remplacement, arrive à côté du Safer, qui se dégrade, pour vidanger et stocker son pétrole. L’opération n’était pas sans risque et la possibilité d’un déversement était omniprésente. L’opération coordonnée par l’ONU s’est achevée le 11 août, une fois que tout le pétrole contenu au bord du Safer a été extrait.

Images satellite montrant les navires de sauvetage NDEAVOR et NAUTICA (désormais rebaptisé YEMEN) à côté ou à proximité du pétrolier FSO SAFER au large des côtes du Yémen dans la mer Rouge. C’est le début d’une opération coordonnée par les Nations Unies qui devrait mettre fin à une saga de près de dix ans provoquée par le déclenchement de la guerre au Yémen. 22/07/2023

Le pétrole étant désormais stocké à bord du Yémen, la menace immédiate d’une explosion a ainsi été écartée. Toutefois, le risque de marée noire subsistera tant que ce pétrole n’aura pas été retiré entièrement et en toute sécurité des eaux yéménites. Greenpeace continuera de surveiller la situation et de faire connaître le travail de l’ONG Shipbreaking Platform pour plaider en faveur du démantèlement responsable du Safer.

Cette affaire a mis en lumière l’absence flagrante de responsabilité de la part de l’industrie pétrolière lorsque vient le temps de nettoyer les dégâts et de payer pour les préjudices qu’elle cause. Pour les grandes sociétés pétrolières internationales qui réalisent actuellement des bénéfices record, assumer le coût de cette opération de sauvetage, estimé à 140 millions de dollars, ne représente pas grand-chose et, dans tous les cas, bien moins que de payer pour les dégâts qu’aurait engendrés une marée noire, estimés à 20 milliards de dollars.

Si cette catastrophe a pu être évitée, c’est parce que des sympathisant·es du monde entier ont répondu à l’appel à l’action de Greenpeace et n’ont cessé de faire parler de cette affaire, la rendant impossible à ignorer dans les plus hautes sphères. Ensemble, vous avez eu un impact décisif dans le monde.

« Cela fait des années que je travaille sur les opérations de nettoyage des marées noires », a déclaré Paul Horsman, chef de projet de l’équipe d’intervention du Safer. « Participer à la prévention d’un tel incident me remplit d’une grande joie. »

Le récif de Samadai se trouve au large de la baie de Tondoba, à 14 km au sud de Marsa Alam. Des eaux cristallines et des récifs coralliens uniques ont fait de la mer Rouge l’une des principales destinations de plongée sous-marine au monde. 24/04/2006

SOURCES (en anglais) :