Anvers, 10 décembre 2024. Nous participons sous couverture à un événement VIP organisé par et pour les acteurs de l’industrie. 426 € de frais d’inscription : le prix à payer pour quiconque souhaite assister à ce rassemblement d’élite sans être une entreprise située en Flandre. Voilà qui donne le ton : si vous voulez y être admis, vous avez intérêt à faire partie de la crème de la crème. Le thème : « Opportunités de marché dans les pays nordiques pour la transition énergétique ». Un sujet passionnant. Mais nous ne sommes pas là pour ça. Nous sommes à la recherche d’un conférencier invité bien précis, quelqu’un qui a quitté le devant de la scène depuis un certain temps. Kris Van Nijen. Le PDG de Global Sea Mineral Resources, une société belge qui veut exploiter les ressources minières des grands fonds marins. Une filiale du géant belge DEME, qui revendique 150 années d’existence, drague des ports dans le monde entier et développe le parc éolien en mer du Nord. 

Kris Van Nijen et Greenpeace se connaissent depuis longtemps. Il ne nous apprécie pas particulièrement. Il nous en veut encore d’être allés dans le Pacifique avec notre Rainbow Warrior en 2021, lorsqu’il a déployé son Patania II pour le premier essai réalisé en plus de 40 ans d’un collecteur de nodules chenillé destiné à l’exploitation minière à l’échelle industrielle. Et lorsque nous avons raconté à la presse que DEME avait perdu sa machine minière en haute mer, nos relations se sont détériorées. Aujourd’hui, nous ne lui disons pas que nous sommes Greenpeace. Nous ne voulons pas partir du mauvais pied. Nous voulons en savoir plus sur les plans de GSR. 

© Greenpeace. Des activistes de Greenpeace International, à bord du Rainbow Warrior, attachent une banderole portant l’inscription « Stop deep sea mining » (« Stop à l’exploitation minière en eaux profondes ») au câble qui retient le robot prototype Patania II.

Les choses ont changé depuis nos dernières interactions publiques. M. Van Nijen se fait beaucoup plus discret. Son entreprise ne se porte pas très bien. Son conseil d’administration a décidé de geler les investissements en attendant de savoir clairement ce que l’avenir réserve à l’exploitation minière en eaux profondes. Pour l’instant, aucune réglementation n’autorise cette pratique. L’éventuel « Code minier » est en cours d’élaboration et promis par GSR depuis des années, sans résultat concret. Les investisseurs commencent à s’impatienter.

Ce soir, M. Van Nijen va prendre la parole devant ce public VIP. Il va prononcer un discours bien rodé vantant les miracles de l’exploitation minière en eaux profondes et promettant qu’elle sauvera la planète du réchauffement climatique et qu’elle répondra à la demande d’une population en constante augmentation. Nous ne connaissons que trop bien la chanson. Mais nous sommes venus ici pour lui parler et rattraper le temps perdu. Découvrir ce qu’il a en tête.

Nous attendons dans le hall d’entrée, essayant de repérer notre PDG. Soudain, une scène surréaliste se produit. Un homme arrive derrière nous, nous salue et nous serre la main. C’est Kris Van Nijen, un grand sourire aux lèvres et les yeux qui pétillent. À peine assis, nous voilà en pleine conversation. M. Van Nijen s’anime tout de suite. Il admet rapidement que la situation est compliquée pour son entreprise. Les investisseurs se montrent frileux. Ils ont investi beaucoup d’argent, et maintenant ils veulent tirer des bénéfices de leurs investissements. Mais le marché est au point mort. Il s’effondre avant même d’avoir pris son envol, tout cela parce qu’il n’y a pas de code minier – déterminant les règles en cas d’autorisation d’activités minières dans les fonds marins – en place. Le code minier, c’est le principal obstacle à surmonter. Ensuite, il y a les scientifiques et les ONG. Tant d’obstacles qui ralentissent tout. M. Van Nijen a peu d’espoir de voir une loi réglementant l’exploitation minière en eaux profondes adoptée bientôt.

À moins que… il aperçoit une lueur d’espoir. Se référant aux élections américaines qui ont eu lieu un mois plus tôt, M. Van Nijen indique que l’élection de Donald Trump pourrait être bénéfique pour ses affaires. Il est peu probable que Donald Trump se laisse ralentir par des lois ou des réglementations internationales. Il a été clair : l’Amérique passe avant tout. Il fera pression en faveur de l’exploitation minière en eaux profondes, c’est presque certain. L’approche agressive de Donald Trump pourrait contraindre l’Autorité internationale des fonds marins (ISA) à adopter enfin un code minier. Et vite. Sinon, le Pacifique pourrait finir par ressembler au Far West. Ou comment la folie d’un homme pourrait finir par servir les ambitions tout aussi insensées d’un autre.

Quatre mois plus tard, les grands titres des journaux confirment les spéculations de M. Van Nijen. Donald Trump fait cavalier seul : il esquive l’ISA et les discussions internationales sur un code minier ou un moratoire, et tourne complètement le dos au multilatéralisme. Il signe un décret présidentiel intitulé « Unleashing America’s Offshore Critical Minerals and Resources » (« Libérer les ressources et minéraux critiques marins américains »). Ce décret ordonne aux agences américaines d’accélérer l’approbation des permis d’exploitation minière en eaux profondes dans les eaux américaines et internationales, y compris dans des zones situées au-delà de la juridiction nationale, comme la zone de Clarion-Clipperton (ZCC) dans l’océan Pacifique. 

Moins d’une semaine plus tard, le 30 avril 2025, The Metals Company, une société d’exploitation minière en eaux profondes, demande aux États-Unis un permis d’exploitation minière en eaux profondes. Le genre de chose qui fait le jeu de M. Van Nijen. Il nous a dit apprécier les avantages qu’il y avait à rester loin des projecteurs. Lorsque GSR menait la charge, la société était sous pression et toujours dans la ligne de mire. En tant que pionnier, on peut se sentir seul, a-t-il laissé entendre. Aujourd’hui, GSR a pris du recul et laissé The Metals Company prendre la barre. C’est The Metals Company qui enfoncera les portes, et GSR pourra discrètement lui emboîter le pas sans faire de vagues.

Avant de plonger dans les évolutions internationales qui nous ont amené·es à ce carrefour historique, il est utile de nous arrêter un instant pour comprendre les véritables enjeux. Pourquoi une telle excitation, une telle frénésie pour des territoires qui se trouvent à 4000 mètres sous la surface, littéralement dans le ventre de la terre ?

Une activité qui concerne 54 % de nos océans

L’exploitation minière en eaux profondes, un secteur cupide

L’océan couvre 71 % de notre planète. Certaines zones du plancher océanique sont recouvertes de très précieux dépôts minéraux concentrés en nodules qui ressemblent à des pommes de terre. Dans l’océan Pacifique, la zone de Clarion-Clipperton (ZCC) contient à elle seule plus de 21 milliards de tonnes de ces nodules, dont environ 30 % du poids est constitué de minéraux très convoités par les industriels, tels que le cuivre, le nickel, le cobalt et le manganèse. 

Des nodules polymétalliques disséminés dans les grands fonds marins. Source : Ifremer.

Cette zone contient jusqu’à 500 milliards de tonnes de nodules. Les fonds marins peuvent être plus riches que les continents.  C’est le cas pour le cobalt : selon les estimations, les fonds marins contiennent cinq fois plus de cobalt que les réserves terrestres. Certaines sources affirment que la ZCC contient à elle seule environ 10 fois plus de manganèse que tous les gisements terrestres actuellement exploitables du point de vue économique. Voilà de quoi donner le vertige aux entreprises extractives et à leurs investisseurs. (1)

GSR figure parmi les entreprises qui sont dans les starting-blocks de cette course à l’exploitation. Des entreprises qui n’hésitent pas à présenter cette nouvelle activité extractive comme une bonne chose pour l’environnement. Leur ambition serait motivé  par une démarche écologique. Leur activité contribuerait ainsi à la décarbonisation de la planète, et nous aiderait à nous passer de combustibles fossiles. Mais alors qu’elles présentent leur activité comme essentielle pour répondre au besoin croissant d’électrification (et donc de batteries), elles passent sous silence les évolutions constantes de ce secteur, évolutions qui rendent leurs projections obsolètes. (2) Dans leur discours, bien sûr, pas un mot non plus sur la nécessité de repenser fondamentalement nos modèles de société. Au contraire, elles vendent du rêve, prétendant qu’il n’est pas nécessaire de changer. Si les enjeux n’étaient pas aussi graves, l’ironie des discours promouvant l’extraction – l’exploitation de ressources terrestres finies – pour soutenir les énergies renouvelables indispensables à la transition climatique pourrait prêter à sourire. Mais nous n’avons plus vraiment de temps à perdre avec des blagues pareilles.  

Le plancher océanique éventré par les bulldozers

L’exploitation minière des fonds marins pourrait avoir des conséquences désastreuses pour la santé de notre planète et pour la biodiversité. Nous estimons que notre connaissance de la vie marine s’étend à seulement 10% de celle-ci. Une grande majorité des espèces n’a pas encore été découverte à ce jour. 

© Solvin Zankl / Greenpeace. Un animal des grands fonds marins présente des caractéristiques translucides et des adaptations uniques.

Les écosystèmes des grands fonds marins sont encore largement sous-étudiés. Leur exploitation minière expérimentale à petite échelle a déjà causé des dommages persistant et cela pendant des décennies, avec une diminution du nombre d’espèces et une perte de biodiversité dans les zones touchées. Les risques ne se limitent pas aux sites d’exploitation minière : les panaches de sédiments, le bruit et la lumière artificielle peuvent perturber la vie marine loin du site d’extraction, et les technologies non testées augmentent le risque d’accident. Imaginez ces étranges créatures des abysses qui vivent dans l’obscurité et le silence, soudain prises dans une tempête de sable accompagnée de lumières 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, tandis que des machines démolissent leur habitat. Le bruit produit par les activités minières en eaux profondes pourrait également avoir un effet dévastateur sur les baleines ainsi que sur les autres cétacés (dauphins et marsouins). Ces animaux dépendent du son pour presque tous les aspects de leur survie, notamment la communication, la navigation, la recherche de nourriture et l’accouplement. La recherche montre qu’une exposition continue à une pollution sonore sous-marine peut modifier le comportement d’une baleine. (3)

De plus, la perturbation du plancher océanique, le plus grand puits de carbone au monde, menace sa capacité à absorber le CO₂ et à maintenir en vie des organismes essentiels au cycle du carbone et à la production d’oxygène. Il s’agit d’une menace directe d’aggraver la crise climatique. En affaiblissant ce puits naturel, nous réduisons l’une des principales défenses de la planète contre l’accumulation de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, accélérant ainsi le dérèglement climatique.

Même l’exploitation minière expérimentale d’ampleur limitée a provoqué des dommages environnementaux graves et durables. L’exploitation minière à grande échelle ne ferait qu’amplifier ces impacts. Malgré d’importantes lacunes scientifiques, les acteurs de l’industrie minimisent souvent ces risques. La réalité, c’est que l’exploitation minière en eaux profondes pourrait causer des dommages irréversibles aux écosystèmes marins : elle pourrait mener des espèces à l’extinction avant même qu’elles ne soient découvertes et saper les efforts de protection du climat et de la biodiversité.

Les effets préjudiciables potentiels de l’exploitation minière en eaux profondes. Source : Global Americans 

L’ISA, gardienne des mers

Text Box: Il existe des garde-fous mis en place par la communauté internationale destinés à protéger nos océans contre toute activité commerciale préjudiciable. L’un de ces garde-fous, et non des moindres, est la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, adoptée en 1982. Il s’agit d’un traité international qui établit un cadre juridique pour toutes les activités marines et maritimes, dont l’exploitation minière en eaux profondes. Elle instaure un principe sacré : toutes les eaux internationales et leurs ressources sont « le patrimoine commun de l’humanité » (art. 136). Ce principe interdit les revendications de souveraineté sur ces eaux internationales et leurs ressources. Il indique que tous les droits sur ces ressources sont dévolus à l’humanité dans son ensemble et qu’ils ne peuvent profiter à un petit nombre d’individus. Ces eaux internationales, dénommées « la Zone », représentent 54 % de la superficie totale des océans du monde et sont régies par l’Autorité internationale des fonds marins (ISA).

La Zone. Source : Autorité internationale des fonds marins.

Les eaux internationales représentent 54 % de la superficie totale des océans du monde et sont gérées par l’Autorité internationale des fonds marins (ISA), en tant que “patrimoine commun de l’humanité”. L’une des missions cruciales de l’ISA est d’assurer la protection du milieu marin (article 145). Cette responsabilité s’accompagne d’un immense pouvoir, en particulier dans le domaine qui nous intéresse. L’ISA a en effet pour mandat de rédiger des règlements pour l’exploration et l’exploitation des ressources minérales de la Zone et de veiller au respect de ces règlements. En d’autres termes, l’ISA est chargée de terminer le code minier tant attendu par GSR et consorts. Un code minier qui donnerait le feu vert au pillage massif des ressources abyssales dans une zone couvrant environ 54 % de nos océans.

© Greenpeace. Une action de Greenpeace devant le siège de l’Autorité internationale des fonds marins (ISA) à Kingston, en Jamaïque (2023).

La Belgique est un acteur important au sein de ce puissant organisme international – voilà qui nous ramène près de chez nous. Elle y est pratiquement omniprésente. Notre pays dispose d’un siège à l’Assemblée, le plus haut organe de décision de l’ISA, où il contribue à l’élaboration de la politique générale et de l’orientation stratégique. La Belgique siège également au Conseil, l’organe exécutif chargé d’élaborer et de mettre en œuvre le programme réglementaire et opérationnel de l’Autorité. En outre, l’expertise belge est représentée au sein de la Commission juridique et technique, ce qui permet à la Belgique de contribuer directement à l’évaluation scientifique et technique des activités relatives aux fonds marins.(4) Enfin, la Belgique est également impliquée dans le Secrétariat, qui assure l’administration quotidienne et la surveillance environnementale de l’ISA. En termes de contributions financières à l’ISA, la Belgique se situe au 19e rang sur 170 membres. Cette importante présence à l’ISA confère à la Belgique une influence considérable sur la gouvernance, la réglementation et la gestion environnementale des ressources internationales des fonds marins. 

Notre pays devrait donc user de son influence pour mettre un terme à la mégalomanie extractive. N’est-ce pas ? 

La Belgique, du bon côté de l’histoire ?

Certes, sur la scène internationale, la Belgique se présente comme un « Blue Leader », un des pays qui défendent la conservation des océans et la responsabilité environnementale. Elle est l’un des membres fondateurs de l’alliance Blue Leaders, qui prône la protection de 30 % des océans d’ici 2030. Notre pays a déjà fait de 37 % de ses eaux de la mer du Nord des aires marines protégées (sur papier). Il a joué un rôle clé dans la négociation du Traité mondial sur les océans (BBNJ), souhaite accueillir le Secrétariat du traité et rappelle fréquemment aux autres nations le principe de précaution et la nécessité de disposer de données scientifiques solides avant d’autoriser toute exploitation minière en eaux profondes.

Mais derrière cette belle façade, une histoire moins reluisante s’est jouée en coulisses. Une histoire faite de favoritisme politique, de la mainmise d’une entreprise et d’accords obscurs. 

Commençons par un truisme : la Belgique parraine un contrat d’exploration auprès de l’ISA pour GSR. Autrement dit, elle a permis à GSR de détenir une concession dans la zone de Clarion-Clipperton et se porte garante de tout problème y survenant. La candidature de l’entreprise a été politiquement facilitée par le ministre des Affaires étrangères de l’époque, Didier Reynders, ainsi que par le ministre de la Mer du Nord, Johan Vande Lanotte, qui allait ultérieurement rejoindre la délégation belge auprès de l’ISA à deux reprises en tant que conseiller de GSR. Il est intéressant de noter qu’Alexia Bertrand, fille du PDG de la société mère de GSR, DEME, faisait à l’époque partie du cabinet Reynders en tant que conseillère. Il s’agit d’un cas classique de portes tournantes et d’alliances intimes entre le monde politique et l’industrie. 

En parrainant de la sorte un contrat d’exploration à l’ISA, la Belgique crée un conflit d’intérêt. Comment en effet concilier ce parrainage avec un rôle de blue leaders sur les questions d’exploitation minière en eaux profondes à l’ISA? 

L’entreprise DEME a joué un rôle clé dans l’obtention du contrat de GSR auprès de l’ISA (l’Autorité internationale des fonds marins) : elle aurait même payé les 250 000 dollars américains de frais de mise en conformité pour le compte de GSR. (5) Un an seulement après la signature du contrat avec l’ISA en 2014, DEME a officiellement racheté GSR.

Avec le soutien officiel de la Belgique, GSR s’est vue attribuer une concession minière de 75 000 km² dans l’océan Pacifique. Pour la Belgique comme pour GSR, cette concession représentait une opportunité unique : conquérir un territoire minier en mer, là où le pays n’en possédait pas sur terre. (6)

Mais cela n’a pas suffi à GSR. L’entreprise a ensuite obtenu une deuxième concession, qui chevauche en partie la concession belge, mais cette fois-ci au nom d’un pays en développement : les îles Cook. Grâce à ces deux contrats, GSR détient aujourd’hui une zone dans le Pacifique presque cinq fois plus grande que le territoire de la Belgique elle-même.

Mais ce que la Belgique et GSR détiennent maintenant ensemble n’a qu’une valeur limitée. Il s’agit d’un contrat d’exploration qui expire en 2028. Ce qui veut dire que, dans son état actuel, il ne représente pas grand-chose en termes d’avantages économiques. Ce contrat deviendrait rentable si la Belgique et GSR signaient un contrat d’exploitation, pour lequel un code minier devrait être adopté. C’est exactement ce qui est à l’ordre du jour du Conseil de l’ISA, qui se tiendra à Kingston, en Jamaïque, entre le 7 et le 18 juillet. En 2023, l’ISA s’est fixé un délai : finaliser la réglementation relative à l’exploitation minière en eaux profondes pour la session du Conseil de juillet 2025. La pression exercée sur l’ISA est à son comble. Avec son décret présidentiel, Donald Trump a jeté un pavé dans la mare alors que la situation était déjà tendue. Une décision doit être prise, d’une manière ou d’une autre. 

En coulisses

Nous savons d’expérience qu’en ce moment, les téléphones et les claviers doivent chauffer. Nous ne doutons pas que GSR fait tout ce qui est en son pouvoir et utilise ses meilleures tactiques de lobbying pour faire pencher la balance en sa faveur. Mais nous ne sommes pas du genre à nous contenter de spéculer. Nous voulons savoir exactement ce qui se dit derrière les portes closes.

C’est pourquoi nous avons fait usage d’un droit que nous connaissons bien au sein de l’unité d’investigation de Greenpeace : le droit d’accès à l’information environnementale. Ce droit permet à tout·e citoyen·ne d’obtenir toute information environnementale détenue par les autorités publiques. Et cela jusqu’aux courriers électroniques échangés entre les entreprises et les organismes publics sur des questions environnementales.

Nous avons donc écrit aux trois ministères qui supervisent le contrat d’exploration de GSR avec l’ISA : le ministère des Affaires étrangères, le ministère de l’Économie et le ministère de la Santé (plus précisément son Service Milieu Marin). Nous avons demandé toute leur correspondance avec DEME ou GSR depuis 2021, pour autant qu’elle concernait l’exploitation minière en eaux profondes (ce qui ne veut pas dire que nous ne serions pas curieux de connaître leurs éventuels projets de vacances, mais la loi fixe quand même certaines limites à notre curiosité). Et la réponse a été impressionnante. Nous avons été inondés de courriels. Nous avons reçu pas moins de 929 courriels des différents ministères, soit une moyenne de 4,8 courriels par semaine. Mais ce n’est pas tout, nous avons également reçu des centaines de pièces jointes, de rapports, de présentations, de feuilles de calcul et d’autres fichiers, soit au total un tsunami de 4816 pages de correspondance entre DEME et le gouvernement. 

Notre unité d’investigation s’est préparée à une longue recherche dans cette montagne d’informations et s’est mise au travail. Nous pensions y trouver quelques pépites. Au lieu de cela, nous sommes tombés sur une mine d’or. 

Envie de découvrir les coulisses ? Rendez-vous la semaine prochaine.

Notes: 

  1. D’ici 2035, on estime que l’extraction annuelle de nodules en eaux profondes pourrait atteindre 36 millions de tonnes, ce qui permettrait potentiellement de produire 356 400 tonnes de cuivre, 444 600 tonnes de nickel, 61 200 tonnes de cobalt et 9,2 millions de tonnes de manganèse. https://easac.eu/fileadmin/user_upload/EASAC_Deep_Sea_Mining_Web_publication_.pdf 
  2. Voir entre autres https://www.flashbattery.tech/fr/blog/batteries-nouvelle-generation/ et https://cicenergigune.com/en/blog/batteries-2025-trends-innovation-challenges 
  3. « Les impacts potentiels comprennent une diminution de l’alimentation, une modification de l’intensité et de la fréquence des appels, et le stress. Le stress chronique lié à la pollution sonore due au transport maritime peut avoir de multiples effets secondaires, notamment une inhibition de la croissance, une baisse de la fertilité et un mauvais fonctionnement du système immunitaire. » https://wwfwhales.org/news-stories/a-noisy-abyss-how-deep-seabed-mining-could-impact-whales 
  4. La Commission juridique et technique (LTC) est chargée de diverses fonctions relatives aux activités dans la Zone, notamment l’examen des demandes de plans de travail, la supervision des activités d’exploration ou d’exploitation minière (y compris l’examen des rapports annuels soumis par les contractants), l’élaboration de plans de gestion de l’environnement, l’évaluation des incidences environnementales des activités dans la Zone, la formulation et le suivi des règles, règlements et procédures relatifs aux activités dans la Zone, et la formulation de recommandations au Conseil sur toutes les questions relatives à l’exploration et à l’exploitation des ressources marines non vivantes (telles que les nodules polymétalliques, les sulfures polymétalliques et les encroûtements de ferromanganèse riches en cobalt).
  5. “Compliance fee”. Dans un rapport sur la candidature de GSR rédigé par la Commission juridique et technique à l’intention du Conseil de l’ISA, on peut voir que GSR a été soutenue par un « partenaire clé » qui a souhaité rester anonyme : « Les partenaires chefs de file de GSR disposent d’importantes ressources et capacités techniques, opérationnelles et financières. Ils ont des compétences logistiques et des activités opérationnelles très développées dans l’industrie offshore, ainsi qu’une connaissance des aspects pratiques du travail dans les grands fonds marins du monde. Ils sont des innovateurs tant au niveau des technologies que des méthodes dans ce type de secteur. L’un des principaux partenaires est le leader mondial de son secteur et son histoire remonte à plus de 150 ans. (…) Les partenaires chefs de file de GSR sont bien connus du gouvernement belge, mais ils ont demandé que leur identité ne soit pas rendue publique pour le moment. » Si les partenaires de GSR ont exprimé le souhait de rester anonymes, cette description nous fait inévitablement penser à DEME, en effet active depuis plus de 150 ans et leader de l’industrie offshore. Notre identification a été confirmée dans la réponse de DEME à Greenpeace. Non seulement ce soutien était essentiel pour la crédibilité de GSR, mais il aurait également permis à GSR de se conformer à l’obligation de verser un droit de 250 000 $ à l’ISA pour demander un contrat d’exploration# : il ne serait pas très raisonnable d’imaginer que GSR ait réalisé une telle dépense alors qu’elle avait à l’époque un capital de 61 500 €. Le rapport de la Commission juridique de l’ISA semble également le confirmer :« La requérante a soumis une déclaration de Deloitte confirmant que la demande de G-TEC Sea Mineral Resources NV faisait partie d’un accord exclusif avec un partenaire industriel belge, qui n’était pas Umicore, en vertu duquel tous les coûts encourus par la requérante pour satisfaire ses obligations en vertu d’un contrat d’exploration avec l’Autorité seraient entièrement supportés par son partenaire industriel belge. » https://www.isa.org.jm/wp-content/uploads/2022/06/isba-18ltc-l5_0.pdf, https://www.deme-group.com/, https://www.isa.org.jm/wp-content/uploads/2022/06/isba-18c-19_0.pdf, https://www.ejustice.just.fgov.be/tsv_pdf/2012/05/09/12086881.pdf   
  6. Comme indiqué dans le dossier de demande de GSR à l’ISA en 2012 : « La Belgique, l’un des plus petits pays d’Europe, n’a pas de concessions minières classiques sur terre. Par conséquent, contrairement à bon nombre de plus grandes puissances économiques, elle souhaite ardemment développer tout le nouveau potentiel de l’industrie de l’exploitation minière en eaux profondes. L’exploitation minière en eaux profondes est destinée à faire concurrence à l’exploitation minière classique sur terre. En définissant cette nouvelle industrie minière, GSR et la Belgique s’allient à l’Autorité internationale des fonds marins. ». https://www.isa.org.jm/wp-content/uploads/2022/06/isba-18ltc-l5_0.pdf 

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