Farah Al Hattab est chargée de campagne et chercheuse spécialisée en droit auprès de Greenpeace Moyen-Orient et Afrique du Nord. Elle est établie à Beyrouth. Depuis le début de la guerre, Farah lit et compile des articles et des informations sur l’impact dévastateur de la guerre sur l’environnement à Gaza. Voici un aperçu de son compte-rendu jusqu’à présent.
En dépit d’une enfance heureuse dans les montagnes du Sud du Liban, la guerre et les bombardements actifs n’étaient jamais loin. Bien que l’occupation israélienne de la plupart des régions du Liban du Sud ait pris fin le 25 mai 2000, soit deux ans après ma naissance, celle de la Cisjordanie, de la bande de Gaza, du plateau du Golan et des fermes de Chebaa persiste encore aujourd’hui. Lorsque j’avais huit ans, en juillet 2006, une guerre de 33 jours a été menée contre le Liban. J’ai été élevée avec la conviction qu’un lien historique unit le sort des Libanais et des Palestiniens et qu’un jour, la Palestine sera libre. Cependant, ce n’est pas de moi qu’il s’agit ici.
À l’heure où j’écris ces lignes [3 juillet 2024], la guerre israélienne contre la bande de Gaza fait rage depuis 270 jours, avec un bilan d’au moins 38 430 morts et 86 969 blessés depuis le 7 octobre, selon le ministère de la Santé de Gaza. Nous assistons en direct à un génocide en cours qui entraîne également des conséquences désastreuses pour les écosystèmes et viole le droit de nombreuses personnes de jouir et de vivre dans un environnement sain.
Note de l’auteur : Ce blog a été initialement rédigé le 3 juillet. Entre-temps, la célèbre revue scientifique The Lancet a publié une étude dénonçant que le nombre réel de morts pourrait être beaucoup plus élevé, à savoir de l’ordre de 186 000.
L’impact environnemental de la guerre en cours à Gaza
La guerre qui se déroule actuellement à Gaza a porté gravement atteinte à l’environnement, avec des conséquences sur l’air, l’eau et la terre, ainsi que sur toutes celles et ceux qui en dépendent. Les émissions immédiates de carbone dues à la guerre sont stupéfiantes, avec une estimation moyenne de 536 410 tonnes de dioxyde de carbone au cours des 120 premiers jours de la guerre, dont 90 % sont attribuées aux bombardements aériens et à l’invasion israélienne terrestre de Gaza.
L’air est contaminé par des produits chimiques provenant d’armes telles que le phosphore blanc, en raison de l’utilisation intensive d’explosifs. L’exposition aux munitions au phosphore blanc provoque à son tour une diminution de la productivité des terres agricoles et peut nuire aux plantes existantes.
Les ressources en eau ont été gravement compromises, avec près de 60 000 mètres cubes d’eaux usées non traitées se déversant quotidiennement dans la mer Méditerranée. Le réseau d’eau potable de Gaza, déjà défaillant avant la guerre avec 90 à 95 % des eaux souterraines non potables, est actuellement dans une situation d’autant plus critique. En moyenne, en avril 2024, les habitants de Gaza avaient accès à environ 2 à 8 litres par personne par jour, en contraste avec 85 litres par personne par jour avant octobre 2023. Les recherches révèlent que 20 litres par personne par jour représente la quantité minimale d’eau salubre nécessaire pour garantir les niveaux minimums essentiels à la santé et à l’hygiène.
La destruction des fermes et des terres agricoles, associée à 17 années de blocus qui ont privé la région d’intrants agricoles essentiels, a provoqué une grave insécurité alimentaire. Depuis mai 2024, 57 % des terres cultivées de Gaza ont subi des dégâts. En outre, selon les Nations Unies, Israël aurait détruit 70 % de la flotte de pêche de Gaza. Le bétail est affamé.
Les oliviers, qui assurent la subsistance de nombreuses familles grâce à la production d’huile d’olive, ont été régulièrement et délibérément visés par les militaires ou les colons israéliens. Ils sont ainsi devenus le symbole de la souffrance des Palestiniens dépossédés de leur patrimoine et empêchés d’avoir accès à leurs terres et à leurs récoltes.
Crise de santé publique et crise climatique : tueurs silencieux
Les crises de santé publique et la vulnérabilité accrue face à l’aggravation des répercussions du changement climatique sont des conséquences silencieuses, mais mortelles de la guerre. La région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord connaît un réchauffement presque deux fois plus rapide que la moyenne mondiale.
Gaza, qui est déjà une région vulnérable sur le plan climatique, est confrontée à une détérioration des conditions en raison de la guerre. Une vague récente de chaleur, survenue en avril, a mis en évidence les conditions désastreuses dans lesquelles vivent les populations déplacées, plusieurs personnes ayant trouvé la mort à cause de la chaleur.
Les infrastructures de santé publique, déjà fragilisées par des années de blocus, s’effondrent sous la pression de la guerre. Les systèmes et installations de gestion des égouts, des eaux usées et des déchets solides se sont effondrés. Des milliers de tonnes de déchets solides s’accumulent dans des décharges informelles à travers la bande de Gaza et les eaux usées non traitées se déversent librement dans la mer. La propagation de maladies telles que les infections cutanées, l’hépatite A et la diarrhée s’intensifie, et une épidémie potentielle menace des milliers de vies.
Pays voisins affectés par les conséquences environnementales de la guerre
L’impact environnemental de la guerre ne se limite pas à Gaza et frappe les pays voisins. L’Égypte et la Jordanie connaissent une augmentation de la pollution de l’air en raison de la proximité de Gaza.
Le Liban, et plus particulièrement ses zones frontalières au Sud, subit des dommages agricoles liés à la guerre, ainsi que d’une pollution chimique et d’une contamination par des restes d’explosifs. Là encore, une évaluation préliminaire a indiqué que les bombardements au phosphore blanc ont provoqué des dommages environnementaux considérables, affectant les écosystèmes naturels et la qualité de l’eau et menaçant la santé humaine et le bétail.
Israël doit assumer les coûts de la destruction de l’environnement
Bien que l’environnement naturel soit protégé en vertu du droit humanitaire international, il demeure une « victime silencieuse de la guerre ». La destruction environnementale à Gaza viole de nombreuses lois et conventions internationales destinées à protéger l’environnement en période de conflit armé. Le Statut de Rome et les Conventions de Genève précisent que la destruction intentionnelle de l’environnement peut constituer un crime de guerre.
Des concepts tels que « écocide » ont été utilisés par des expert·es et des ONG pour décrire la destruction délibérée de l’environnement à Gaza. Une analyse satellite récente révèle que « l’ampleur et l’impact à long terme de la destruction ont conduit à demander qu’elle fasse l’objet d’une enquête en tant que crime de guerre potentiel et qu’elle soit qualifiée d’écocide, qui couvre les dommages causés à l’environnement par des actions délibérées ou par négligence ».
Le droit international exige qu’Israël assume le coût de la reconstruction de Gaza, vu sa responsabilité reconnue en tant que puissance occupante.
Un rapport d’évaluation provisoire des dommages établi par la Banque mondiale indique que le coût total des dégâts à la fin du mois de janvier 2024 s’élevait à environ 18,5 milliards de dollars.
« Il faudra des dizaines de milliards de dollars et plusieurs décennies pour réparer les destructions sans précédent à Gaza ». La CNUCED
Un rapport du PNUD indique que « le niveau de destruction à Gaza est tel que la reconstruction des infrastructures publiques nécessiterait une aide extérieure d’une ampleur inégalée depuis 1948 ».
Sans cessez-le-feu définitif à l’horizon, les dégâts et le coût de la reconstruction augmenteront inévitablement, ce qui compromettra d’autant plus la capacité du peuple palestinien à retourner vivre à Gaza.
J’assiste en direct à un génocide en cours qui se déroule sous mes yeux, à travers mon téléphone – un documentaire de premier plan, lancinant, qui illustre l’horreur. Tant qu’Israël ne répondra pas du sang qu’il a versé dans ma région, je crains que nous ne subissions le même sort que les Gazaouis.
Les demandes de Greenpeace pour protéger les populations, l’environnement et la paix à Gaza et dans la région
> Un cessez-le-feu immédiat et permanent
> Un embargo mondial sur toutes les ventes et tous les transferts d’armes
> La fin de l’occupation illégale de la Palestine
> Le passage régulier et sécurisé des convois humanitaires
> Un accès permettant aux enquêteurs et aux spécialistes environnementaux de mener des enquêtes sur le terrain
> Le soutien des donateurs internationaux et régionaux pour le développement de l’infrastructure hydraulique
> Des évaluations environnementales exhaustives au lendemain de la guerre
> Des efforts de reconstruction durable axés sur l’atténuation des effets du changement climatique, les politiques de résilience et l’implication des communautés
> Des mesures visant à tenir Israël responsable des dommages infligés à Gaza en violation de ses obligations internationales*
* Conformément au principe de droit international selon lequel « l’État responsable est tenu de réparer intégralement le préjudice causé par le fait internationalement illicite ». – Article 31 (1) de la Responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite, Commission du droit international, 2001.