Lorsque la Russie, l’un des plus grands producteurs de pétrole et de gaz au monde, a envahi l’Ukraine, la climatologue Svitlana Krakovska a déclaré : « le dérèglement climatique provoqué par l’humanité et la guerre contre l’Ukraine ont les mêmes racines : les énergies fossiles et notre dépendance à leur égard ».

Elle s’exprimait alors depuis sa maison de Kiev devant le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat et avait dû se retirer de la réunion d’adoption du dernier rapport lorsque des bombes étaient tombées sur sa ville.

Un mois plus tard, la guerre en Ukraine s’est transformée en crise humanitaire : Plus de 3,7 millions de personnes ont fui le pays et on estime à 13 millions le nombre de personnes qui ne sont pas en mesure de quitter le pays, car elles n’ont qu’un accès limité à la nourriture, à l’eau et aux soins médicaux. 

© Bence Jardany / Greenpeace

Les énergies fossiles attisent la guerre contre l’Ukraine

Il existe une relation directe entre les énergies fossiles et la machine de guerre russe. Rosneft, une des grandes entreprises pétrolières du pays, serait l’un des principaux fournisseurs de carburant de l’armée russe. Rosneft fournit également du pétrole à des entreprises comme BP. Ainsi, chaque fois que du pétrole ou du gaz russe est acheté, non seulement de l’argent est versé dans le trésor de guerre, mais cela permet également de faire fonctionner la machine militaire. Rosneft et ses filiales Rosneft-Aero et Transneft ont fourni du carburant à l’armée russe avant et pendant l’invasion. [1] 

Pour mettre fin à cette guerre, nous avons besoin au plus vite d’un retrait mondial et d’un embargo sur les énergies fossiles russes, ainsi que d’une aide humanitaire urgente pour les personnes dans le besoin.

Les énergies fossiles ont une longue histoire de guerre

La lutte pour les ressources énergétiques a été un facteur frappant dans de nombreux conflits récents, dont la guerre Iran-Irak de 1980-1988, la guerre du Golfe de 1990-1991 et la guerre civile soudanaise de 1983-2005. Greenpeace s’est déjà exprimée sur ces conflits par le passé, notamment lors de la dernière guerre en Irak. 

La guerre du Golfe de 1990 était en grande partie un conflit autour du pétrole. Les problèmes qui ont fourni à l’Irak le prétexte pour envahir le Koweït étaient la politique des prix du pétrole et les revenus pétroliers. Même si le pétrole n’était pas la seule raison de l’action de l’Irak, il a été une raison importante de l’action des États-Unis et de leurs alliés, qui ont agi rapidement pour garantir leur propre accès aux ressources pétrolières et celui des pays de l’OCDE. L’exploitation à grande échelle du pétrole par des entreprises étrangères opérant au Soudan du Sud y a renforcé les violations des droits de l’homme et aggravé le conflit de longue durée qui sévit au Soudan et qui a fait deux millions de morts et quatre millions de déplacés depuis 1983, ainsi que des famines et des épidémies récurrentes.

Selon une étude menée en 2021 par Greenpeace Italie, Greenpeace Espagne et Greenpeace Allemagne, près des deux tiers des opérations militaires de l’UE surveillent et sécurisent l’extraction et le transport de pétrole et de gaz vers l’Europe. Depuis 2018, les gouvernements italien, espagnol et allemand ont investi plus de 4 milliards d’euros dans la protection des énergies fossiles néfastes pour le climat. 

Des militant·e·s Greenpeace protestent pour l’arrêt des importations de pétrole russe à la raffinerie PCK de Schwedt, qui reçoit chaque jour environ 400 000 barils de pétrole brut de Sibérie occidentale via l’oléoduc Druzhba (oléoduc « Amitié »). © Bente Stachowske / Greenpeace

On ne peut pas faire confiance aux entreprises de combustibles fossiles

Au début de la guerre en Ukraine, les compagnies pétrolières ont profité de l’occasion pour étendre leurs activités en invoquant la menace d’une crise énergétique comme raison de pousser leurs activités polluantes. Shell a même acheté du pétrole à la Russie après l’invasion et ne s’est excusée et ne s’est engagée à mettre fin à ses relations avec la Russie qu’après des réactions publiques massives qui auraient pu avoir des répercussions sur les bénéfices de l’entreprise. Aujourd’hui, d’autres groupes pétroliers comme BP et Total Energies promettent de se séparer de la Russie après avoir été directement associés à la guerre en Ukraine. Comme les grands groupes de tabac, ces entreprises profitent de la moindre occasion pour continuer à vendre leurs produits. Tant que nous ne démasquerons pas leur modèle commercial sordide, elles continueront à profiter des conflits et des crises climatiques.

Le commerce des énergies fossiles soutient un système injuste

Pour garantir la paix et mettre un terme à la crise climatique, les gouvernements doivent réduire leur dépendance aux énergies fossiles et s’en désengager immédiatement. L’économie mondiale est encore largement tributaire des combustibles fossiles, qui représentent plus de 80% du mix énergétique mondial. 

Cette dépendance aux combustibles fossiles fait de la sécurité énergétique et de la protection du climat un enjeu d’intérêts géopolitiques. Les gouvernements ne peuvent pas prétendre être en faveur de la paix s’ils continuent à financer des guerres. Et le passage du pétrole et du gaz russes au pétrole et au gaz d’autres pays au bilan douteux en matière de droits de l’homme, comme le Venezuela ou l’Arabie saoudite, ne fait que déplacer le pouvoir géopolitique d’un pollueur à l’autre.

Ces déséquilibres de pouvoir peuvent amener des pays à agir en toute impunité. Lors des récentes négociations mondiales sur le climat à la COP26, les principaux producteurs de pétrole et de charbon comme l’Arabie saoudite et l’Australie ont fait échouer les efforts visant à éliminer les combustibles fossiles du texte final, et des pays comme la Russie et les États-Unis ne sont pas membres de la Cour pénale internationale, qui poursuit les crimes de guerre.

Les énergies renouvelables sont une voie vers la paix

Pour créer un monde plus juste et plus pacifique, les pays doivent réduire leur dépendance aux combustibles fossiles. Pour accélérer la transition, les pays riches ont d’abord l’obligation de réduire leurs besoins énergétiques en maximisant l’efficacité énergétique. Ensuite, ils doivent rapidement couvrir leurs besoins énergétiques avec des énergies renouvelables. 

Contrairement aux énergies fossiles, les énergies renouvelables sont moins susceptibles de donner lieu à des luttes de pouvoir géopolitiques ou à des inégalités, car leur infrastructure a le potentiel d’être largement localisée. Cela pourrait à son tour contribuer à réduire le commerce avec des pays dont le bilan en matière de droits de l’homme est discutable. Les énergies renouvelables localisées pourraient également contribuer à protéger les consommateurs contre les chocs de prix tels que la crise énergétique mondiale actuelle.

Des militant·e·s Greenpeace protestent devant la Chancellerie fédérale à Vienne pour que les bénéfices des groupes énergétiques soient davantage taxés en raison de l’énorme augmentation des prix du pétrole et du gaz. Les énormes hausses de prix sont générées par la guerre russe contre l’Ukraine. © Mitja Kobal / Greenpeace

Assurer l’approvisionnement énergétique et le climat

La combinaison des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique est un meilleur choix pour la sécurité énergétique. En combinant le potentiel de ces deux domaines, la demande mondiale totale d’énergie pourrait être réduite jusqu’à un quart d’ici 2030. Les mesures d’efficacité énergétique représenteraient entre la moitié et les trois quarts des économies d’énergie totales, le reste revenant aux énergies renouvelables. Cela pourrait avoir un impact énorme sur la protection du climat, étant donné que les combustibles fossiles sont les principaux responsables du réchauffement climatique.

Une transition rapide et équitable vers les énergies renouvelables est possible. L’installation de capacités d’énergie renouvelable est beaucoup plus rapide que la construction de nouvelles infrastructures pour les combustibles fossiles – au Royaume-Uni, il faut en moyenne 28 ans pour exploiter un nouveau puits de pétrole, contre deux ans pour construire un parc solaire. Et si le monde investit davantage dans les énergies renouvelables, celles-ci deviendront une option encore moins chère et plus viable. Le Maroc et l’Égypte développent rapidement leurs capacités en matière d’énergies renouvelables et montrent comment la coopération peut permettre d’aller plus vite et plus loin.

C’est l’occasion pour les gouvernements de briser le cycle de destruction des combustibles fossiles et d’opérer une transition vers un avenir plus vert et pacifique. Les gouvernements doivent s’engager en faveur de la paix et d’un climat sûr et passer le plus rapidement possible à des énergies efficaces et renouvelables.


[1] Selon un rapport publié en russe par la société en 2017, les entreprises du groupe Rosneft fournissaient le ministère russe de la Défense, le Comité d’enquête de la Fédération de Russie, le ministère russe des Situations d’urgence, le ministère russe de l’Intérieur, la Garde russe et étaient à l’époque le seul fournisseur de carburant de la Garde nationale, qui est depuis déployée à la frontière avec l’Ukraine.

Article originale : Greenpeace Suisse