Le 14 juillet 2021, des pluies diluviennes frappaient la Belgique et engendraient une catastrophe climatique qui toucha durement de nombreuses communes, surtout dans le Sud du pays. Un an plus tard, nous interrogeons Christine Mahy, Secrétaire générale du Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté pour revenir sur les impacts de ce drame.

  • Par votre travail sur le terrain et votre réseau, vous voyez de très près le quotidien de nos citoyen·nes. En cette date anniversaire pourriez-vous nous décrire où en sont les conséquences, réparations et réhabilitations des zones touchées par les inondations de l’été dernier ?

Les conséquences sont très inégales, tout comme le processus de reconstruction, matériel, financier et humain. Pour certain·es, les difficultés sont derrière eux, pour d’autres, le traumatisme continue, en étant si pas à 0, pas encore loin. Depuis quelques semaines revient cette question: “Serons-nous chez nous pour cette date anniversaire?”

La réalité d’événements aussi dramatiques est qu’ils s’abattent sur les vies et les conditions d’existence matérielle des gens telles qu’elles sont. Et celles-ci sont fort inégales. De manière générale, les populations les moins en sécurité à tout point de vue sont les premières victimes directes et avec un impact très fort pour elles car les moyens de la stabilisation ne sont pas les mêmes. 

Par stabilisation, j’entends la capacité de se défendre, le soutien moral reçu, l’encadrement familial ou financier dont on peut disposer, la capacité à lutter potentiellement contre des expropriations, des loyers en hausse,… C’est une véritable boîte à outil dont dispose tout le monde mais qui, pour de nombreuses raisons, n’est pas aussi fournie chez chacun·e.

  • Certaines familles ne sont donc pas encore relogées ou vivent encore dans des conditions temporaires. Un an après les faits, cela semble inouï, surtout au vu de la vague de solidarité citoyenne qui s’est manifestée ?

La solidarité a surtout été le fait de citoyen·nes et d’associations locales. Les communes ont fait ce qu’elles ont pu avec les moyens et le champ d’action dont elles disposaient, mais effectivement pour beaucoup de gens, les situations ne sont pas réglées. Certain·es n’avaient pas d’assurance – ce qui demande un investissement préventif un peu à l’aveugle qu’ils ou elles ne peuvent se permettre -, d’autres ont dû s’installer dans des logements de transit mais sans que n’arrive de solution de relogement.

Cela est dû à plusieurs facteurs: certaines zones ne sont plus ou ne seront plus habitables, les loyers de certains lieux ont donc pu augmenter, des familles ont aussi du mal à quitter les alentours d’un lieu où elles ont leur tissu social, familial, scolaire ou de travail et ne savent pas comment faire face aux discussions de négociation, reconversion, délocalisation voire expropriation auxquelles elles finissent par faire face.

Il y a en réalité une multitude de situations différentes qui existent toujours et plus le temps passe plus c’est dur, notamment car l’individualisation de la situation s’accroît. La boîte à outils devient donc de plus en plus importante et elle manque à beaucoup.

“En temps que société, il est essentiel aujourd’hui de prendre le temps de se raconter et d’imaginer le demain ensemble”

  • Les autorités aussi sont à même de remplir cette boîte à outils. Qu’est-ce qui a été fait, notamment avec la commission parlementaire qui s’est penchée sur ces inondations, et quelles seraient les étapes essentielles pour éviter une telle catastrophe à l’avenir ou en minimiser les impacts ?

Cette commission parlementaire a permis de faire remonter des éléments et pistes de gestion de la part de la Région wallonne.
Elle est également passée à côté de plusieurs opportunités, n’offrant pas assez de temps pour les populations et, singulièrement les populations les plus impactées, de venir raconter leur vécu. La question des assurances, pourtant essentielle dans le processus de reconstruction a à peine été abordée.

Or, en temps que société, il est essentiel aujourd’hui de prendre le temps; le temps de se raconter et le temps d’imaginer le demain ensemble. Nous, au réseau, nous allons donc faire remonter des propositions complémentaires.

Parmi les points déjà abordés, l’aspect préventif de la gestion des crises, au niveau des services fédéraux, a été évoqué et il est évident qu’il faut à l’avenir une coordination accrue des services fédéraux, notamment de la protection civile.

Il est également évident que différents niveaux de législation s’entrechoquent et compliquent le déploiement de politiques préventives, réactives et d’adaptation. Le niveau communal (autorités, services, associations) a dû parer à globalement tout durant ces jours de catastrophe, parer à la vie, à la mort, à manger, à loger, à ne pas savoir comment se déplacer, à avoir une localité coupée en deux, ce fut une période émotionnellement éreintante mais aussi pleine d’enseignements.

D’une part, comment voir la réalité d’une région si les leviers de pouvoir sont locaux et suivant la même réflexion, le niveau macro ne devrait-il pas avoir le droit d’avoir plus de pouvoir de décision sur les communes y compris en aménagement du territoire si on veut agir bien et profondément face à ces événement climatiques qui vont se reproduire. Or, en ce moment même, des choses sont en train de se passer qui sont contraires aux analyses en cours.

  • Quel type de choses ? 

Des bâtiments achetés trop rapidement, une spéculation qui s’installe à certains endroits, des rénovations qui continuent dans des zones où on sait que tout locataire là-bas sera cuit. Ou, si l’endroit est au contraire protégé, les prix de location y augmentent drastiquement.

Construire l’avenir, nécessite de relier des acteurs dans un cadre et une vision commune. Voir des territoires à l’échelle plus large. La semaine dernière, la Région wallonne convenait que tout n’était pas réglé, c’est un premier pas. Il s’agit maintenant de reconstruire ensemble, en faisant face à la temporalité de chaque entité et de chacun·e.

Les ménages sont dans leur urgences quotidiennes (toit, chauffage, mobilité, travail, école,…), les communes dans le préventif immédiat (voirie, égoût, bassins, d’orage,…), se projeter dans l’avenir est très compliqué. C’est ce que fait, par exemple, l’Université de Liège avec le Masterplan, mais cette temporalité n’est pas celle des politiques régionales, fédérales, celle des spéculateurs, celle de l’octroi de permis pour construire sur des terrains à risque,…

C’est comme si ces choses s’entrechoquaient, ne s’articulaient pas. Or les clefs de l’avenir face à ces événements se situent dans  l’aménagement du territoire et la qualité de l’isolation énergétique.

“Les clefs de l’avenir face à ces événements se situent dans  l’aménagement du territoire et la qualité de l’isolation énergétique.”

  • Pour faire face à la crise climatique, nous allons effectivement devoir nous adapter et transformer nos villes et campagnes. Qu’est-ce qui te paraît absolument nécessaire de faire en termes d’aménagement du territoire ?

Nous avons besoin d’une coordination à plus grande échelle et sur un temps plus long. De grands enjeux sociétaux ont déjà été établis par des experts: moins de béton, plus d’espaces naturels, des habitats qualitatifs, resserrés. 

Il faut cesser de reléguer un logement social à l’écart. Il vaut mieux créer une saine articulation entre quantités de logements sociaux de très bonne qualité dans un habitat densifié avec plus d’espaces verts, de potagers collectifs. Cela passe aussi par le soutien aux chauffages plus collectifs et non plus la logique de primes individuelles qui donne toujours accès aux bénéfices aux mêmes.

Il est essentiel de recomposer les services de proximité dans les reconstructions et les aménagements, en tenant compte du vieillissement de la population. Cela va engendrer une dynamique de plus grande mixité sociale – indispensable et bénéficiaire à tout le monde. Elle permettra aussi d’affiner les réflexions autour des modes de circulation collectifs, de l’intermodalité de la mobilité, permettant que chacun·e puisse s’approprier le territoire, y compris les personnes plus fragiles.

  • Comment voyez-vous leur avenir à ces personnes plus fragiles ou qui ont été touchées par les inondations ?

Il passe par un dialogue d’une grande délicatesse et profond à avoir avec les citoyen·nes, reconnaître la légitimité de leurs questionnements, les fragilités des conditions d’existence. On rencontre chaque jour des  citoyen·nes la peur au ventre qui s’interrogent, s’inquiètent: “Et si ça recommençait !?”

Pour commencer à reconstruire et réenvisager l’avenir, il faut que cet événement catastrophique serve aux causes climatique et sociale. Sinon, ce serait encore plus grave que l’événement lui-même. 

Les autorités ont l’absolue nécessité de s’attaquer à la cause de fond et à relier ces catastrophes climatiques (inondations, sécheresse, canicule, feux,…), dont la fréquence est appelée à augmenter, et leurs conséquences sociales. Les personnes les plus vulnérables y sont le plus exposé, leur santé est touchée, leurs histoires sont parfois invisibilisées car ils ou elles sont parti·es, les maisons sont vides ou parce qu’on n’a pas pris le temps de les entendre. Si nous voulons faire société, nous devons les entendre, les voir et les intégrer.

C’est ce que nous essayons de faire avec le Réseau wallon de lutte contre la pauvreté. Pour marquer cet anniversaire, nous allons d’ailleurs rester en connexion avec elles et eux, aller aux événements qu’habitants de quartier ou associations mettront sur pied ou leur laisser l’intimité qu’ils ou elles souhaitent garder.

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