Hasan Kilani est un activiste queer palestino-jordanien et travaille chez Greenpeace. Dans ce blog, il met en lumière la situation à Gaza et en Cisjordanie à partir de sa propre expérience. Angel Ramajo Perez (Greenpeace Espagne) a contribué à ce blog publié le 2 juillet 2024 sur le site web de Greenpeace Espagne. Nous publions ici une traduction de la version espagnole.
En tant que Palestinien, les huit derniers mois ont eu un impact considérable sur ma vie. L’équilibre entre travail et vie privée était complètement rompu, ou comme nous, Palestinien·nes, le disons, « l’équilibre entre travail et génocide ». Chaque matin, je me réveille avec de sombres nouvelles pour la Palestine. Via la presse mais aussi via des sources directes. Dès les premières semaines de la guerre, j’ai perdu mon cousin, mon partenaire Chevenor Maisara et plusieurs amis proches et leurs parents. J’ai perdu des membres de ma famille avec lesquels j’ai partagé des repas, des souvenirs et de beaux moments.
L’armée israélienne ne se contente pas de tuer, elle détruit aussi. Elle détruit des lieux et cause des dommages irréparables à des souvenirs précieux. J’ai beaucoup de mal à réaliser l’ampleur de ces pertes. Une brutalité implacable, qui dure depuis 1948, maintient les personnes vivant sous l’occupation dans un état de peur constant.
Cela fait 76 ans. Chaque jour, des Palestinien·nes perdent la vie suite à l’occupation. Une grande injustice qui passe trop souvent inaperçue ou, pire encore : elle est parfois qualifiée de « trop compliquée ». Parallèlement, une partie des impôts – que les citoyen·nes de plusieurs pays paient chaque mois – est détournée par leurs gouvernements pour financer l’armée israélienne. Une armée qui assassine systématiquement les enfants palestiniens. Pourtant, j’entends encore dire que dénoncer cette injustice est « trop compliqué ».
Dans l’ombre de l’occupation
Mon expérience de l’occupation et de la diaspora n’est pas sans rappeler celle de nombreux·ses autres Palestinien·nes. Ma mère, originaire de Cisjordanie, a épousé mon père, issu de la diaspora palestinienne. Leur histoire d’amour est marquée par ce sentiment que ma mère parvient à faire naître chez mon père : celui de retrouver un peu de ce pays qu’il a dû quitter.
Je suis retourné en Palestine chaque été. Pour me déplacer au sein de différentes zones, je devais passer les nombreux points de contrôle entre les villages et faire la file pendant des heures à côté d’un mur en béton de neuf mètres de haut pour rendre visite à un ami qui vivait dans une autre zone. Transposé au contexte belge, imaginez que cinq heures soient nécessaires pour vous rendre de Charleroi à Namur pour rencontrer des ami·es. Durant ces cinq heures, vous rencontrez des troupes d’occupation lourdement armées et d’innombrables chars. Tout désir de retrouver joyeusement des ami·es disparaît : vous ne pensez plus qu’à survivre. C’est ainsi que les Palestinien·nes sont contraints de vivre dans la prétendue « seule démocratie du Moyen-Orient ».
La seule démocratie du Moyen-Orient
En tant qu’activiste queer, j’ai assisté à d’innombrables conférences sur les droits des personnes LGBTQIA+, notamment en Europe et aux États-Unis. On entend souvent des personnes dont des militant·es LGBTQIA+, se décrivant comme « progressistes », dire que les Palestinien·nes LGBTQIA+ devraient être reconnaissant·es. En dépit du fait que l’armée israélienne tue nos familles, bombarde nos maisons et nous oblige à nous déplacer, nous devrions être heureux·ses parce que notre occupant organise une Pride annuelle. Or, cette même force d’occupation cible systématiquement les hommes gays par le biais d’applications de rencontre, les filme ou prend des photos à leur insu durant un acte sexuel pour les obliger ensuite à devenir des collaborateurs et des informateurs.
Ce système d’occupation, mis en place par les gouvernements israéliens successifs, traite les Palestinien·nes de la même manière, indépendamment de leur religion, de leur âge, de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre. Pour l’État israélien, nous sommes réduit·es à notre identité ethnique, « palestinienne ». Cela suffit pour être considéré·e comme inférieur·e. À leurs yeux, nous sommes tou·tes susceptibles d’être expulsé·es de nos maisons. Pour le gouvernement israélien et ses alliés, nous sommes des personnes qui méritent d’être victimes d’un génocide.
Appeler à une Palestine libre signifie aussi accueillir et célébrer les identités et orientations sexuelles qui vont au-delà de la lecture binaire et patriarcale des sociétés occidentales et occidentalisées. La planète est un foyer où tous les individus doivent avoir la possibilité d’être simplement eux·elles-mêmes. Un foyer authentique et sûr. Loin de toute forme d’occupation.
La nature nous montre aussi des exemples de diversité et comment cette diversité est non seulement essentielle à la vie, mais aussi propice à la protection de toutes les créatures qui la composent. Sans ériger de barrière et de contrôle, sans préjugé, sans stigmatisation, sans discrimination, ni même normalisation des comportements, comme l’explique la biologiste Brigitte Baptiste : « Il y a dans la diversité des oiseaux, des plantes et des êtres vivants des comportements uniques et des phénomènes extraordinaires que nous ne voyons tout simplement pas, parce que nous ne les voyons qu’à travers le prisme de la normalité, de la similitude et de l’homogénéité. »
Reconnaître l’État palestinien
Après huit mois de génocide à Gaza [note : ce blog a été écrit en juillet. Cela fait maintenant 9 mois] et d’atrocités en Cisjordanie, la communauté internationale, en particulier les pays occidentaux, parle souvent de notre mort sans reconnaître notre terre et notre droit à l’autodétermination. Il y a également un manque d’analyse du pouvoir et de reconnaissance de l’occupation. Il ne s’agit pas de deux camps égaux, mais d’un occupant et d’un peuple occupé. Regarder les informations, c’est, au mieux, s’apitoyer sur le sort de la population de Gaza, sans action politique ni appel à la responsabilité. Les choses peuvent changer : l’Espagne, l’Irlande et la Norvège ont récemment reconnu officiellement l’État palestinien. Ce faisant, ils envoient un message clair.
Un symbole de fierté
Heureusement, de nombreuses personnes LGBTQIA+ vivent dans des situations privilégiées et ne sont pas directement touchées par les conséquences désastreuses des événements mondiaux affectant les identités et l’orientation de genre. Profitons de ce privilège pour mettre en lumière les violations des droits humains et y remédier.
Ensemble, nous pouvons jouer un rôle important dans la transformation des dynamiques de pouvoir. Ensemble, nous pouvons appeler à la reconnaissance de la Palestine en tant qu’État avec une place pour tou·tes, indépendamment d’une culture, d’une identité sexuelle ou d’une orientation. Cela reviendrait à reconnaître septante-six années d’oppression et d’injustice à l’encontre du peuple palestinien. Ce serait un véritable symbole de FIERTÉ. Un symbole d’être du bon côté de l’histoire.