Un nouveau rapport d’investigation de Greenpeace International montre comment l’industrie gazière – parmi laquelle l’opérateur gazier belge Fluxys – a profité du choc de l’invasion de l’Ukraine par la Russie pour augmenter considérablement son emprise en Europe. [1]  Les contrats à long terme de fourniture de gaz américain vers l’Europe entraîneront une augmentation massive des infrastructures des deux côtés de l’Atlantique, affecteront gravement les communautés locales et menaceront directement nos objectifs climatiques. 

En bref : 

  • L’industrie gazière utilise la peur et l’incertitude causées par la guerre en Ukraine pour prolonger notre dépendance au gaz fossile pendant des décennies.
  • Les contrats entre les industries gazières européennes et américaines entraînent une prolifération des terminaux d’exportation (États-Unis) et d’importation (Union européenne) de GNL (gaz liquéfié naturel).
  • L’opérateur gazier belge Fluxys joue un rôle crucial avec 3 terminaux existants et 2 en projet, dont le principal point d’entrée du gaz américain en Europe (Dunkerque).
  • Le gaz liquéfié a un impact plus important sur le climat que le gaz acheminé par gazoduc. Par ailleurs, son extraction et son traitement aux États-Unis menacent la santé des communautés locales.

Le rapport d’investigation de Greenpeace intitulé « Who Profits From War » analyse comment, sous l’effet d’un lobbying intense des opérateurs gaziers, dont l’entreprise belge Fluxys, la politique énergétique européenne a connu récemment un changement majeur. Le besoin de « sécurité énergétique » a remplacé la « transition énergétique » en tant que priorité et les projets d’importation de gaz fossile, en particulier de gaz naturel liquéfié (GNL) en provenance des États-Unis, ont été approuvés et financés avec de l’argent public à un rythme accéléré.

“Suite à l’arrêt des gazoducs russes, les industries gazières américaines et européennes ont réussi à présenter les importations de GNL comme la seule réponse possible à la crise”, explique Mathieu Soete, expert énergie chez Greenpeace Belgique. « Elles ont surfé sur la peur de nos gouvernements en agitant le spectre de pénuries d’énergie, puis les ont rendus complices d’un programme invisible d’expansion, de nouvelles infrastructures et de contrats à long terme. Le résultat est désastreux : les volumes de GNL expédiés atteignent des niveaux insoutenables, en contradiction complète avec nos objectifs climatiques qui prévoient une sortie des énergies fossiles.”

Eléments-clé de notre rapport d’investigation :

REPowerEU, le plan visant à sortir l’UE de sa dépendance au gaz russe, a prévu une aide de 10 milliards d’euros pour les infrastructures gazières, deux mois seulement après l’invasion russe en Ukraine.

8 terminaux de GNL sont en cours de construction dans l’UE et des projets visant à en construire 38 autres sont sur la table. Si tous ces terminaux voient le jour, ils seraient responsables de l’émission de 950 millions de tonnes d’équivalent CO2 par an, ce qui équivaut à près d’un tiers des émissions de l’Union Européenne en 2019.

La plupart de ces projets n’aboutiront pas avant 2026. Ils ne peuvent donc pas être vus comme des solutions pour combler les déficits à court terme causés par la guerre.

Les États-Unis et l’Union européenne prévoient de plus de doubler respectivement leur capacité d’exportation et d’importation de GNL. Cela risque d’entraîner une énorme surcapacité de part et d’autre, en raison de la baisse de la demande de gaz en Europe et des scénarios visant la neutralité climatique.

En 2022, les importations européennes de GNL américain ont augmenté de 140 %. Près d’un quart d’entre elles étaient destinées à la France, le terminal Fluxys de Dunkerque étant le principal point d’importation de GNL américain dans l’UE.

Malgré cette année faste pour le GNL, la capacité existante des terminaux européens n’a été utilisée qu’à 63 % en 2022 – Zeebrugge a atteint 61 %. Cela montre que les vastes plans d’expansion ne sont pas nécessaires.

Le GNL contribue davantage à la crise climatique que le gaz acheminé par gazoduc. L’exploitation gazière aux États-Unis entraîne une pollution et des risques accrus de maladies respiratoires, de malformations congénitales et de cancers. Cela touche principalement des personnes racisées, des groupes indigènes et des personnes à faible revenu.

Fluxys joue un rôle clé

Le rapport met en évidence le rôle clé de Fluxys, le gestionnaire du réseau gazier belge (détenu par les communes belges à 77,4 %). « En tant que membre des principaux lobbys gaziers européens, Fluxys a joué un rôle direct dans cette histoire et, grâce à son implication dans nombre de projets en Europe, l’entreprise est prête à en tirer profit », explique Mathieu Soete. « Néanmoins, Fluxys risque également de se heurter à la réalité. La demande européenne de gaz a chuté de 18 % l’année dernière et continuera à baisser pour atteindre nos objectifs en matière de climat. Nous devons éviter que les citoyen·nes belges ne paient pour les plans d’expansion sauvages de Fluxys. »

“Libérons-nous du gaz fossile”

Greenpeace demande plus de transparence sur les activités de l’industrie gazière et souhaite que les entreprises fossiles n’aient plus accès aux processus politiques. « Si nous demandons à l’industrie gazière une réponse à la crise énergétique, cette réponse sera : toujours plus de gaz”, explique Mathieu Soete. “Et cela même si cette crise est en grande partie causée par notre dépendance au gaz. Nous devons absolument briser ce cercle vicieux et nous libérer du gaz fossile d’ici à 2035. Pour cela, pas de contrats à long terme, pas de nouveaux terminaux méthaniers et l’élimination progressive des infrastructures existantes plutôt que leur extension. Ce n’est qu’à cette condition que l’Europe et notre pays pourront assurer leur sécurité énergétique et atteindre leurs objectifs climatiques.”

Le dernier rapport du GIEC a montré que les solutions pour sortir des énergies fossiles étaient à notre portée. En Belgique en particulier, il y a un énorme effort à faire pour isoler massivement les logements, en aidant en priorité les foyers les plus précaires. Les investissements dans les énergies renouvelables doivent être accélérés. L’industrie doit également se mettre au travail et rendre les processus plus efficaces, circulaires et électriques. Enfin, le développement des énergies renouvelables doit s’intensifier : 70 % d’électricité issue des énergies renouvelables d’ici à 2030, c’est possible.”

Notes

[1] Greenpeace International, « Who Profits From War: How Gas Corporations Capitalise on War in Ukraine« . Résumé exécutif en français.

[2] Fluxys fait partie du groupe European Network of Transmission System Operators for Gas (ENTSOG ; Pascal De Buck, CEO de Fluxys) et Gas Infrastructure Europe (GIE ; Arno Büx, Chief Commercial Officer de Fluxys).

[3] La consommation de gaz dans l’Union européenne au cours de la période août 2022-mars 2023 était inférieure de 17,7 % à la consommation moyenne au cours de la même période entre 2017 et 2022. Source : Eurostat