Greenpeace, Bond Beter Leefmilieu et Canopea ont remis aujourd’hui un rapport technique montrant de graves lacunes dans la sécurité des centrales nucléaires de Doel 4 et Tihange 3. Elles répondent ainsi à la documentation erronée du centre d’études nucléaires SCK CEN qui sert de base à la consultation publique sur la prolongation de ces réacteurs. Les organisations rejettent ce simulacre de procédure. Pour elles, une consultation sérieuse ne pourra avoir lieu que si les négociations avec Engie sont terminées et que tous les dossiers sont publiés.
Ces deux derniers mois, le public belge a pu s’exprimer sur l’éventuelle prolongation de 10 ans de Doel 4 et Tihange 3. Cette consultation publique est nécessaire pour pouvoir modifier la loi sur la sortie du nucléaire. Pour permettre aux citoyen·nes de se prononcer en connaissance de cause, le gouvernement a rendu publics, le 20 mars, des dossiers contenant de plus amples informations. Mais c’est là que le bât blesse, selon les organisations.
« Les négociations avec l’opérateur Engie traînent en longueur, c’est pourquoi tous les plans concrets d’extension sont absents de cette consultation », explique Jan Vande Putte, expert nucléaire chez Greenpeace Belgique. « De plus, la documentation pour cette consultation a été compilée par le centre d’études nucléaires SCK CEN, qui travaille lui-même sur de nouveaux types de réacteurs et a donc intérêt à retarder la sortie du nucléaire. »
Un rapport indépendant pointe les lacunes du dossier du SCK CEN
Une analyse technique indépendante des expertes nucléaires Oda Becker et Gabriele Mraz, commandée par Greenpeace Belgique et Bond Beter Leefmilieu, expose les principales lacunes du dossier SCK CEN :
- Sécurité interne : des lacunes graves dans les centrales nucléaires augmentent le risque d’un accident très grave. En cas de panne électrique de la centrale, seules des installations mobiles sont disponibles, qui doivent intervenir en quelques heures pour éviter une fusion. Le dossier du SCK CEN ne mentionne aucun investissement supplémentaire pour y remédier, comme c’était le cas en Suède. Contrairement à ce qui prévaut en France, Doel 4 et Tihange 3 ne sont pas non plus testés conformément aux normes de sécurité (plus élevées) d’une nouvelle centrale nucléaire.
- Sécurité externe : le dossier SCK CEN ne prend pas suffisamment en compte le risque de catastrophes naturelles, comme les fortes pluies et les inondations avec rupture de digue. Le risque d’une attaque violente ou d’un sabotage est également minimisé. Le ministre de l’énergie reconnaît toutefois la sensibilité du réseau à haute tension à cet égard. La situation très critique de la centrale nucléaire de Zaporijjia a montré que la perte de la connexion au réseau est l’un des principaux risques.
- Radioactivité: les émissions maximales de radioactivité prises en compte par le SCK CEN sont ridiculement faibles. Pour Doel 4, il ne s’agirait que de 58 GBq de césium-137. À titre de comparaison, on estime que 15 PBq (ou 15 millions de GBq) ont été rejetés à Fukushima. Les simulations de l’université de Vienne BOKU, commandées par le gouvernement autrichien, estiment les émissions de Doel 4 à 115 PBq, soit près de deux millions de fois plus que les chiffres de SCK CEN. De telles émissions pourraient entraîner l’évacuation forcée de la population bien au-delà des frontières de la Belgique.
- Stockage prolongé des déchets nucléaires : la prolongation de deux réacteurs de 10 ans signifie environ 810 assemblages combustibles hautement radioactifs supplémentaires. Pour les stocker dans une couche d’argile, un tunnel supplémentaire de 1,2 km est nécessaire. Toutefois, la faisabilité de cet enfouissement est encore incertaine aujourd’hui. Une prolongation repousserait également le calendrier d’enfouissement des déchets existants, alors qu’on ne sait toujours pas clairement comment tous les combustibles irradiés peuvent être stockés de manière stable et sûre jusqu’en 2080 au moins.
- Absence de justification : pour justifier la prolongation, le SCK CEN se réfère à une note d’Elia, qui n’est ni publiée ni vérifiée. La prolongation repose donc principalement sur une déclaration politique concernant la nécessité des centrales pour les hivers difficiles après 2025. Et ce, alors que ces vieilles centrales nucléaires ne sont plus suffisamment sûres sur le plan opérationnel pour garantir l’approvisionnement en électricité.
Un dossier incomplet rend la consultation peu crédible
Le rapport indépendant d’Oda Becker et Gabriele Mraz a été remis aujourd’hui par les organisations dans le cadre de la procédure de consultation. « Cela ne signifie pas que nous acceptons cette procédure », déclare Jan Vande Putte. « Les nombreuses lacunes du dossier du SCK CEN rendent cette procédure très peu crédible. Les principaux risques des centrales vieillissantes sont occultés, sous-estimant d’un facteur de 2 millions les conséquences possibles d’un accident grave ».
« Sur la base de ce dossier incomplet et d’une consultation défaillante, il est impossible de délivrer une autorisation. La base juridique pour cela serait très mince », conclut Jan Vande Putte. « Cette tentative désespérée de prolonger les réacteurs au-delà de 2025 est tout simplement une mauvaise idée. Nous ferions mieux d’utiliser ce temps pour mettre en place de vraies solutions pour la sécurité de l’approvisionnement ».
Notes
- Lire le rapport complet d’Oda Becker et Gabriele Mraz ici (version originale en allemand / traduction par Greenpeace en anglais).
- Lire les commentaires de Bond Beter Leefmilieu, Greenpeace et Canopea sur la consultation publique ici (en néerlandais).
Contact
Jan Vande Putte, expert nucléaire Greenpeace Belgique : 0496 16 15 84
A propos des autrices
Oda Becker (DE) est une consultante scientifique indépendante sur les risques nucléaires. Elle a étudié la physique à l’université de Hanovre, où elle a également enseigné de 2006 à 2011. Depuis 1999, Mme Becker a (co-)rédigé plusieurs études sur les centrales nucléaires pour le gouvernement autrichien et des ONG, en particulier sur les scénarios de catastrophe et la sûreté nucléaire dans diverses centrales nucléaires européennes.Gabriele Mraz (AT) a étudié les sciences alimentaires à l’université de Vienne, avec une spécialisation en chimie et en radioécologie. Elle est associée de recherche et chef de projet à l’Institut autrichien d’écologie (1988) et experte senior chez pulswerk GmbH (2014), où ses travaux portent sur la radioprotection et l’impact des rayonnements, les déchets nucléaires et la politique nucléaire.