Partie 2 à une série de blogue pour vous guider vers une alimentation plus résiliente en temps de crise sanitaire… et environnementale! Le confinement forcé par la crise du coronavirus a amené plusieurs d’entre nous à repenser et modifier notre alimentation. Que ce soit parce que nous disposons de plus de temps pour cuisiner ou encore en raison des questionnements que la crise fait émerger concernant nos systèmes alimentaires, l’alimentation s’est hissée ces dernières semaines au rang des questions principales. Dans ce blogue, nous explorons des idées pour repenser nos systèmes alimentaires en profondeur.


Problèmes structurels du système alimentaire

La pandémie de Covid-19 qui frappe la planète a révélé plusieurs faiblesses structurelles de nos systèmes économiques et sociaux. Le système alimentaire dévoile aussi ses failles et montre qu’il est impératif pour les humains, la biodiversité et le climat de transformer le système et de ne pas revenir à l’anormal. 

En pleine crise sanitaire, nous avons en effet rapidement fait face à la crise du système alimentaire mondial et canadien détruisant des aliments. On a ainsi détruit du lait, des millions d’oeufs en incubation et des fraises, en plus d’abattre des animaux, que ce soit des poules pondeuses, des centaine de milliers de poussins, des poules, des porcs et des bovins.

Comment en sommes-nous arrivés à ce niveau de destruction ? Comment se fait-il qu’alors que 800 millions personnes dans le monde vivent l’insécurité alimentaire, notre système détruit des aliments et procède à l’euthanasie des animaux ?  

Bien sûr, on peut identifier des causes étroitement liées à la crise sanitaire, notamment des changements dans les habitudes alimentaires et les fermeture des restaurants durant la pandémie. On peut aussi expliquer une partie de cette destruction par le fait que de nombreux.euses travailleur.euses des abattoirs ont étés infecté.es par le COVID-19, ce qui a forcé à ralentir ou carrément cesser les activités d’abattage1. Ainsi, durant plusieurs jours, les producteurs, ne trouvant plus d’abattoir pour diriger leur bétail, ont dû procéder à des euthanasies, par manque d’espace dans leurs établissements. Cette crise des abattoirs n’est pas exclusive qu’au Canada. Aux États-Unis, au Brésil, en Australie, dans plusieurs pays d’Europe et ailleurs dans le monde, les abattoirs ont été touchés de plein fouet par le coronavirus avec les même impacts sur les chaines de productions et d’abattage. 

Selon Raj Patel, professeur à la Lyndon B. Johnson School of Public Affairs à l’université du Texas d’Austin et expert de l’industrie alimentaire, la concentration du secteur agroalimentaire explique le fait que cette industrie a été particulièrement touchée par le COVID-19. Un rapport publié en 2016 par le ministère américain de l’Agriculture, montre par exemple que les quatre plus grosses entreprises concentrent aujourd’hui 70 % de la valeur des élevages américains destiné aux abattoirs, contre 26 % en 1980. 

En avril, John Tyson, président du géant américain de la viande, Tyson Foods, a même signé un blogue informant du gaspillage alimentaire en cours dans le pays : «En plus de la pénurie de viande, il s’agit d’un grave problème de gaspillage alimentaire. Les agriculteurs de tout le pays n’auront tout simplement nulle part où vendre leur bétail pour qu’il soit transformé, alors qu’ils auraient pu nourrir la nation. Des millions d’animaux – poulets, porcs et bovins – seront dépeuplés en raison de la fermeture de nos installations de transformation. La chaîne d’approvisionnement alimentaire est en train de se briser».

Rupture de la chaîne alimentaire en temps de crise 

Cette situation catastrophique de la chaîne alimentaire s’est trouvée exacerbée par la consolidation du secteur agroalimentaire des dernières décennies partout sur la planète. Si on prend seulement le secteur de la transformation de la viande, le nombre d’usines aurait diminué de moitié au Canada en 45 ans. Aussi, ces usines sont devenus des mégas centre d’abattages, où les travailleurs – payés à de bas salaires – exécutent des tâches en promiscuité dans un climat froid et humide (propice aux maladies).

En outre, le modèle d’affaires agricole de monoculture sur de très grandes surfaces, en très grandes quantités, est face à un énorme problème. À ceci s’ajoute, un modèle qui survit grâce au recours à une main-d’oeuvre étrangère, sous payé et aux conditions de travail précaires. Chaque année, ils sont plus de 40 000 travailleurs (dont plus de 16 000 au Québec) originaires du Mexique, du Guatemala et d’autres pays d’Amérique latine engagés par les entreprises agricoles du pays. Or, la crise a empêché des milliers d’entre eux.elles.les de se rendre à destination. Malgré le recours à de la main d’oeuvre locale, on a rapidement vu en mai et juin 2020 les répercussions de la crise sur les cueillettes, par exemple des asperges ou des fraises

Bref, notre système alimentaire ressemble à une énorme machine impossible de s’ajuster au contexte de crise mais ainsi qu’aux fluctuations de demandes. Le modèle agro alimentaire de concentration ou encore de monoculture sur de très grandes surfaces, en très grandes quantités, est face à un énorme problème et ne permet pas les ajustements nécessaires face aux crises qui émergent, qu’elles soient sanitaires ou climatiques. 

La crise avant la crise ! 

Or, bien avant la crise, notre système alimentaire accusait d’importantes problématiques… En effet, avant même que le mot Covid soit sur toutes les lèvres, notre système alimentaire mondial – comprenant l’agriculture industrielle, la production d’aliments pour l’élevage, puis le transport – représentait jusqu’à 37% des émissions mondiales de gaz à effet de serre2. Au cœur du problème – la consommation excessive de viande, le gaspillage alimentaire endémique et l’accès inégal à une alimentation saine. 

L’impact de la consommation de viande

La viande dans nos assiettes a un énorme coût en carbone. Les émissions provenant de l’élevage représentent 14,5 % de toutes les émissions de gaz à effet de serre dans le monde3. En août 2019, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a publié un rapport sur l’utilisation des terres démontrant l’impact de notre alimentation sur les forêts, la biodiversité et les changements climatiques. Aussi, de grandes superficies de nos terres agricoles servent à produire des aliments non pas pour les humains mais pour le bétail. Bref, le GIEC affirme que pour limiter le réchauffement climatique, il nous faut passer à une alimentation essentiellement végétale et réduire notre consommation de viande4.

La viande industrielle5 joue en fait un rôle important dans l’extinction de la faune et de la flore sauvages et dans la perte de biodiversité à l’échelle mondiale. Alors que l’agriculture dans son ensemble est responsable de 80% de la déforestation sur la planète6, il est important de savoir que près de 75-80% de ces terres sont uniquement nécessaires pour produire de la nourriture du bétail7.

Le coût climatique du gaspillage alimentaire

Si les pertes et le gaspillage alimentaire8 étaient un pays, il serait le troisième plus grand émetteur, derrière la Chine et les États-Unis. Nous parlons ici d’environ 8 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre9. Au Canada seulement, chaque année, 58 % de tous les aliments produits sont perdus ou gaspillés10. À elles seuls, ces pertes au Canada créent l’équivalent de 56,6 millions de tonnes d’émissions de dioxyde de carbone11. Finalement, les aliments qui se retrouvent dans les sites d’enfouissement produisent également du méthane qui emprisonne 28 fois plus de chaleur dans l’atmosphère que le dioxyde de carbone12

À cet égard, on peut aussi se poser la question, sur le fait que des aliments soient détruits plutôt que transformé et redirigés sous autre forme, notamment de dons. Par exemple, face à la destruction de lait bovin, plusieurs ont avancé l’idée de revoir les mécaniques de la gestion de l’offre afin de pousser l’industrie laitière à investir dans la transformation du lait, par exemple en poudre, pour en permettre l’entreposage.

Mode solutions ! 

Depuis des années, différents acteurs de notre société demandent des changements face aux failles du système alimentaire. Au Québec, l’Union paysanne propose différentes solutions pour favoriser les petites exploitations à échelle humaine, mettre de l’avant les circuits courts et aussi tisser des liens entre les paysan.nes et la population. Elle demande aussi depuis des années la pluralité syndicale en agriculture et l’augmentation des seuils de production hors quota pour les petits producteurs.trices, car avec les règles actuelles ceux-ci se retrouvent en ce moment limitées dans leur diversification et leur croissance.  C’est bien pour cela que Greenpeace pousse nos dirigeants pour une relance juste et verte: avec de bonnes politiques en place, nous pouvons garantir un meilleur accès à une saine alimentation pour tou·tes, tout en réduisant considérablement notre empreinte écologique. Vous pouvez vous joindre à nous, en demandant à votre maire·sse de votre ville ou village de rendre disponibles plus d’espace et de ressources pour la production alimentaire. Nous avons besoin de terrains, d’outils et de l’information. Demandez à cultiver la résilience alimentaire de votre ville!

La crise : une opportunité pour repenser notre alimentation

Au plus fort de la crise sanitaire, on a vu émerger sur les réseaux sociaux des centaines de nouveaux groupes et réseaux de jardinage, de conseils sur les semis maisons et sur comment chacun peut transformer ses habitudes pour y inclure un peu de résilience alimentaire. Les fermiers de proximités ont vu les demandes pour leurs paniers explosés, les semenciers biologiques en ligne ont rapidement affichés des ruptures de stocks… Tout cela alors que plusieurs consommateurs.trices se demandaient comment favoriser des circuits courts ou encore quels aliments favoriser pour suivre le fil des saisons. 

Il faut dire que c’était aussi au moment où des fermetures de frontières à travers le monde et notamment celle bordant notre pays avec les États-Unis a fait craindre des problèmes d’approvisionnement alimentaires. Plusieurs États ont alors commencé à parler d’autonomie alimentaire et même le Premier Ministre du Québec, Monsieur François Legault, a parlé de “démondialiser” nos économies. 

Ainsi, un peu partout à travers le monde, de même qu’au Québec, on a compris que la crise pourrait permettre une transformation en profondeur et notamment ouvrir le grand chantier de l’autosuffisance alimentaire. Des initiatives nés avant ou durant la crise peuvent nourrir ces transformations si on les met de l’avant et on s’en inspire pour mettre en place des solutions. 

En Californie par exemple, un gangster jardinier a entrepris de verdir son terrain et de transformer son lien avec son alimentation. Il inspire aujourd’hui ses voisins et le mouvement de verdissement des villes. Au Québec, Jean-Martin Fortier forme des générations au maraîchage bio-intensif. Du côté des entreprises d’économie circulaire LOOP vient à la rescousse des aliments mal aimés et les recycle plutôt pour en faire des jus et d’autres produits. Pour sa part, Des Chenaux Récoltes,  met en lien les producteurs.trics et les ceuilleurs.euses afin de récolter et transformer les surplus d’entreprises maraîchères, de potagers et d’arbres fruitiers. Une initiative comme celle-ci a un impact direct de réduction du gaspillage alimentaire en valorisant les surplus en plus d’améliorer l’accès à l’alimentation pour tous.toutes.

Des solutions existent et plusieurs sont déjà à portée de main. Il est temps de construire un système alimentaire résilient face aux crises qui se présentent devant nous, qu’elles soient sanitaires ou environnementale. En alimentation comme ailleurs, ne revenons pas à l’anormal!

Cultiver la résilience alimentaire: Demandez à votre maire·sse de rendre disponibles plus d’espace et de ressources pour la production alimentaire. Nous avons besoin de terrains, d’outils et de l’information. 


Notes:

1  Cargill a dû fermer des usines à High River, en Alberta, et à Chambly, au Québec, après des éclosions de COVID-19. Pour sa part, Olymel a fermé son usine à Yamachiche, tandis que l’usine de viande de bœuf JBS à Brooks, en Alberta, est temporairement passée à un quart de travail par jour. 

https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2019/08/4.-SPM_Approved_Microsite_FINAL.pdf

3 IPCC 2014: Smith, P., et al. 2014. Agriculture, Forestry and Other Land Use (AFOLU). In Climate Change 2014: Mitigation of Climate Change. Contribution of Working Group III to the Fifth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change [Edenhofer, O., et al. (eds.)]. Cambridge University Press, Cambridge, United Kingdom and New York, NY, USA.

4  IPCC 2019

5  La chasse à la base de nombreuses cultures autochtones, est le type de viande non industrielle que Greenpeace soutient, conformément à la reconnaissance par Greenpeace de l’ensemble des droits énoncés dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, en particulier la survie culturelle.

6 Hosonuma, N., et al. 2012. An assessment of deforestation and forest degradation drivers in developing countries Environmental Research Letters, 7: 044009; 

7 Foley, J.A., et al. 2011. Solutions for a cultivated planet. Nature, 478: 337-342.

8 La perte est la nourriture abîmée ou perdue peu après la récolte. Les déchets alimentaires sont gaspillés dans le commerce de détail et dans nos foyers. Ces deux éléments sont généralement désignés sous le nom de « Pertes et déchets alimentaires ».

9 CAIT, 2015. Climate Data Explorer. World Resources Institute; https://www.wri.org/blog/2019/07/countries-climate-plans-ndcs-are-missing-big-opportunity-reducing-food-loss-and-waste

10 https://www.cbc.ca/news/canada/toronto/food-waste-report-second-harvest-1.4981728

11 https://www.cbc.ca/news/canada/toronto/food-waste-report-second-harvest-1.4981728

12 https://secondharvest.ca/wp-content/uploads/2019/01/Avoidable-Crisis-of-Food-Waste-Technical-Report-January-17-2019.pdf ; https://www.edf.org/climate/methane-other-important-greenhouse-gas