Vous vous attendiez à ce que 2021 soit moins pavée de scandales que 2020? Rangez vos beaux espoirs au placard et lisez la suite : on vous présente le #Buttergate. 

Le beurre plus dur, ça vous dit quelque chose? En ce début d’année, les Canadien·nes ont eu la stupéfaction de découvrir ce qui se cachait réellement dans leur beurre : pour augmenter la productivité, des éleveurs laitiers auraient ajouté des suppléments d’huile de palme à l’alimentation de leurs vaches. C’est ainsi que nous pouvons maintenant ajouter le beurre à la liste déjà longue de produits de tous les jours qui contiennent cette huile bon marché synonyme de déforestation. 

Orang-outan menacé par les fumées dans le centre du Kalimantan, Indonésie.
© Jurnasyanto Sukarno / Greenpeace

Bien sûr, ce scandale pose question. La première étant de savoir si les vaches canadiennes contribuent malgré elles à l’extinction des orangs-outans.

J’ai commencé à faire campagne avec Greenpeace il y a plusieurs années en travaillant à protéger les dernières forêts pluviales d’Indonésie, et je peux vous dire que l’utilisation de l’huile de palme pour nourrir le bétail au Canada a des conséquences allant bien au-delà de la consistance du beurre. Voici une liste de 7 choses que vous devez absolument savoir sur la culture de l’huile de palme et le Buttergate.

1. Qu’est-ce que l’huile de palme?

L’huile de palme est une huile végétale – comme l’huile de tournesol ou d’olive, fabriquée à partir des fruits du palmier à huile – Elaeis guineensis. Elle entre dans la composition de nombreux produits que nous mangeons ou utilisons tous les jours : shampoings, pains, dentifrices, détergents, encas et barres chocolatées, et maintenant produits laitiers à en croire les dernières nouvelles. 

Mais si l’huile de palme peut être produite de manière durable – ce n’est pas le cas pour une grande partie de la production. Ce palmier, originaire d’Afrique de l’Ouest, a été importé en Asie du Sud-Est dans les années 1960 et est par la suite devenu l’objet d’une culture intensive aux conséquences souvent désastreuses : pour faire place aux plantations de palmiers à huile, d’immenses zones de forêt pluviales sont abattues au bulldozer ou brûlées. Ceci impacte non seulement les populations locales, qui perdent leurs lieux de vie et subsistance, mais également les orang-outans, une espèce clé pour l’écosystème, et de nombreuses espèces d’oiseaux qui sont poussées au bord de l’extinction.

2. D’où vient-elle?

Le manque de traçabilité et de transparence dans le secteur de l’huile de palme sont des problèmes majeurs. Les palmiers à huile sont cultivés dans de nombreux pays tropicaux, mais l’Indonésie est de loin le plus grand producteur au monde, avec 58 % de la production mondiale en 2019 selon le magazine Forbes. Cela signifie que si les vaches canadiennes sont nourries à l’huile de palme, il y a de fortes chances qu’une grande partie de cette huile provienne d’Indonésie. Les éleveurs de bétail du Canada connaissent-ils l’origine de leur huile de palme et ont-ils la garantie qu’elle ne provient pas de la déforestation? Le public mérite de le savoir.

3. Quel est son impact sur la nature, les forêts et la vie sauvage?

La plupart des palmeraies indonésiennes se trouvent sur les îles de Sumatra et de Bornéo, où la destruction des forêts a fait entrer trois espèces d’orangs-outans dans la liste des espèces « en danger critique d’extinction ». Au moins 30 % des forêts pluviales de Bornéo ont été détruites au cours des 40 dernières années, y compris ses tourbières riches en carbone qui peuvent stocker deux fois plus de carbone que les forêts. L’exploitation forestière, l’exploitation minière et le développement des plantations, en particulier des plantations de palmiers à huile, ont contribué à une déforestation massive et ont eu un impact sur la population d’orangs-outans de l’île. À ce jour, Bornéo a perdu près de 150 000 orangs-outans au cours des 16 dernières années. 

On estime que la production de produits de consommation courante a causé 78% de la perte du couvert forestier en Asie du Sud-Est entre 2001 et 2015. Les industries de l’huile de palme et des pâtes et papiers (monoculture d’arbres pour la fibre) sont les principaux moteurs de cette destruction. En Indonésie, on estime que l’industrie de l’huile de palme a provoqué la déforestation de 2,3 millions d’hectares entre 1995 et 2015, parmi lesquels 585 000 hectares ont été défrichés entre 2010 et 2015 seulement. En 2016 et 2017, l’Indonésie a perdu 3 millions d’hectares supplémentaire de forêt naturelle.

Concession de palmiers à huile en développement dans le district de Merauke, Indonésie.

En 2018, l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) a conclu que l’augmentation de la production d’huile de palme affectait au moins 193 espèces classées comme « menacées » sur la liste rouge de l’UICN. Étonnamment, l’UICN a également estimé que « ‘expansion du palmier à huile pourrait affecter 54% de tous les mammifères menacés et 64% de tous les oiseaux menacés dans le monde ».

4. Comment contribue-t-elle aux changements climatiques?

La déforestation contribue fortement au dérèglement climatique pour deux raisons : le défrichement des forêts produit des émissions de gaz à effet de serre et, comme vous vous en doutez, moins il y a d’arbres, plus la capacité de captation du carbone dans l’atmosphère s’en trouve diminuée. 

De grandes parties de la forêt indonésienne poussent dans une tourbe marécageuse et profonde qui stocke d’énormes quantités de carbone. Or, les palmeraies ont besoin de terres sèches. Les compagnies d’huile de palme drainent donc la tourbe, ce qui la rend très inflammable. Les incendies deviennent alors incontrôlables et libèrent encore plus de dioxyde de carbone, faisant de l’Indonésie le troisième plus grand émetteur de gaz à effet de serre au monde, en grande partie en raison de la déforestation.

L’analyse de Greenpeace révèle qu’entre 1,1 et 2 millions d’hectares de tourbières indonésiennes ont brûlé entre 2015 et 2018 seulement, libérant jusqu’à 1,87 gigatonne de CO2, soit plus du double des émissions annuelles du Canada. On estime que les incendies qui ont ravagé la région en 2019 ont libéré à eux seuls 465 mégatonnes de CO2 entre le 1er janvier et le 22 octobre.

5. Comment nuit-elle aux communautés locales?

Selon les rapports, plus de 900 000 personnes en Indonésie ont souffert d’infections respiratoires aiguës en raison du nuage de fumée des incendies de 2019 et près de 10 millions d’enfants risquent de subir des dommages physiques et cognitifs irréversibles en raison de la pollution de l’air. 

Les communautés autochtones ont également été gravement touchées et déplacées. Le peuple Dayak, l’un des premiers peuples de Bornéo, dépend fortement de la forêt pour sa subsistance. Aujourd’hui, sa culture et son mode de vie sont menacés par la cupidité des entreprises et l’huile de palme.

Une étudiante porte un masque et tient une pancarte lors d’une manifestation. Elle se tient devant un panneau de contrôle de la qualité de l’air qui affiche des niveaux dangereux dus aux fumées provoquée par les feux de forêt dans la ville de Palangkaraya, dans le Kalimantan central.

6. Est-ce grave que les vaches en mangent?

La réponse est oui!

Bien que le groupe de pression des producteurs laitiers affirme que nourrir les vaches avec de l’huile de palme est sans danger pour la santé et accepte de procéder à des études supplémentaires, cela nous éloigne de la question principale. L’élevage industriel est déjà un énorme émetteur de gaz à effet de serre (GES). Ce secteur représente à lui-seul 14,5 % du total des émissions de GES mondiales, soit l’équivalent des émissions mondiales liées au transport routier, maritime, ferroviaire et aérien.

Combinez cela avec les impacts de la production d’huile de palme maintenant utilisée pour nourrir les vaches, et vous vous retrouvez avec une catastrophe climatique, faunique et de santé publique sur les bras. Nous n’avons pas besoin d’études supplémentaires pour le comprendre.

7. Quelle est la solution?

Changer nos systèmes alimentaires.

J’aimerais que ce soit plus simple que cela, vraiment. Mais notre monde est fait de systèmes complexes et interconnectés qui doivent évoluer. Et vite!

La triste réalité est que l’huile de palme est présente dans un grand nombre de produits que nous consommons chaque jour. Pour éliminer l’huile de palme de notre vie quotidienne, il est nécessaire de repenser nos systèmes alimentaires afin de les axer vers des productions locales qui soient plus résilientes, durables et équitables.

C’est pourquoi le Programme des Nations unies pour l’environnement a récemment recommandé de réorienter les subventions de l’agro-industrie vers un modèle agricole plus durable et local, et vers des productions davantage axées sur le végétal. 

Greenpeace a également écrit à la ministre de l’Agriculture, Marie-Claude Bibeau, pour lui demander de réorienter les subventions et autres aides gouvernementales vers les productions locales et biologiques. Actuellement, les agriculteurs canadiens qui essaient de faire ce qu’il faut ne sont pas assez soutenus et les aliments sains et biologiques sont souvent trop chers pour beaucoup d’entre nous, ce qui crée des inégalités.

Nous avons besoin que notre gouvernement agisse si nous voulons sérieusement éliminer l’huile de palme, non seulement de notre alimentation, mais aussi de celle des vaches, et ainsi cesser de contribuer quotidiennement à la destruction des forêts pluviales.

., le est une raison de + de faire évoluer nos systèmes alimentaires. Il est temps de réorienter les subventions vers des modes de production qui respectent le , la et le vivant.