Après un automne mouvementé, le Traité sur la Charte de l’énergie (TCE) se fait plus discret dans les médias en ce début d’année. Les négociations sur la modernisation du traité sont en effet au point mort suite à leur boycott par certains pays européens. Mais la Commission européenne a rompu le silence et a déclaré début février que la sortie de ce traité par tous les pays de l’UE était inévitable. Qu’en est-il aujourd’hui ? Prenons le temps de nous replonger dans ce dossier et de nous projeter vers l’avenir.
Mi- novembre 2022. Des militant·es de Greenpeace accrochent une grande bannière en face du siège de la N-VA. Nous demandions à nos gouvernements de sortir du Traité sur la Charte de l’énergie (TCE). Pourquoi ? Les entreprises d’énergie fossile utilisent ce traité pour maintenir les gouvernements sous leur emprise et plombent ainsi toutes éventuelles ambitions climatiques. Malheureusement et malgré tous les arguments en faveur d’une sortie belge du traité, les gouvernements fédéral et flamand restent silencieux. Les gouvernements bruxellois et wallons y sont quant à eux favorables.
6 arguments qui démontrent que la sortie du TCE est inévitable
Une recherche de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) soulignait déjà en 2018 qu’il existe « peu de preuves solides » que les traités commerciaux protégeant les investisseurs, tels que le traité sur la charte de l’énergie (TCE), attirent les investissements étrangers. Une méta-étude plus récente portant sur 74 études conclut que l’effet de ces traités commerciaux sur les investissements étrangers est « si faible qu’il est presque négligeable ». Même le principal organisme Bloomberg New Energy Finance (BNEF) n’inclut pas le TCE dans les 163 critères qu’il utilise pour évaluer l’attrait d’un pays pour les investissements étrangers dans le secteur de l’énergie.
Le TCE protège tous les investissements actuels et déjà réalisés dans les infrastructures énergétiques, qu’elles soient fossiles ou renouvelables. Cependant, la grande majorité des investissements de ces 20 dernières années ont été réalisés dans les combustibles fossiles. Entre 2013 et 2018, seuls 20 % des investissements dans les infrastructures énergétiques ont été consacrés aux énergies renouvelables. Le TCE agit donc principalement comme un garde du corps de l’industrie fossile.
Si des affaires concernant les énergies renouvelables voient le jour, elles ne bénéficient jamais aux citoyens, aux PME ou aux coopératives. Ce sont les multinationales de l’énergie et les grandes sociétés d’investissement qui se retrouvent dans la clause ISDS. Si le soutien de l’État aux énergies renouvelables est réduit, les contribuables et l’économie locale y perdent deux fois. D’une part, en raison de la perte directe de subventions et, d’autre part, parce que les grandes entreprises du secteur de l’énergie et les sociétés d’investissement peuvent imposer leur compensation par le biais du TCE.
C’est la Belgique elle-même qui, il y a deux ans, a tiré l’alarme et interrogé la Cour de Justice Européenne sur la légalité de l’ISDS dans les affaires intra-européennes. Le verdict de la Cour était clair : pour les litiges intra-européens, l’ISDS est contraire au droit européen. La clause ISDS est donc illégale, mais aussi antidémocratique et non transparente. Les décisions dans les affaires ISDS ne sont pas rendues par des tribunaux indépendants, mais par des groupes d’arbitrage privés composés de trois avocats spécialisés dans les questions d’investissement. Ces panels sont payés au cas par cas et ont donc tout intérêt à se prononcer en faveur du plaignant. Les gouvernements n’ont aucun moyen de faire appel d’une décision. Le traité sur la charte de l’énergie ne prévoit aucun mécanisme de contrôle du système ISDS, ce qui le rend presque totalement indépendant du contrôle des gouvernements.
Le TCE donne un pouvoir incontrôlé aux entreprises d’énergie fossile et met un frein à la transition énergétique. En brandissant la menace d’une procédure ISDS, la société canadienne Vermilion a réussi à influencer un nouveau projet de loi visant à interdire l’extraction de combustibles fossiles sur le territoire français. Le gouvernement néerlandais doit également faire face à une plainte de 1,4 milliard d’euros pour avoir voulu fermer des centrales au charbon d’ici à 2030. Les gouvernements sont donc contraints de réduire les mesures environnementales ou de reporter les mesures nécessaires.
La route vers un système énergétique neutre sur le plan climatique est encore longue et impliquera de nombreux changements. Les plans et projets qui semblent être de bonnes solutions aujourd’hui peuvent ne plus être souhaitables dans 10 ans ou devenir moins intéressants en raison du développement rapide des énergies renouvelables. Le TCE bloque la flexibilité du système énergétique et fera toujours passer les profits des entreprises énergétiques en premier.
Les réformes annoncées, qui n’ont finalement pas été soumises au vote cette semaine, sont insuffisantes et non conformes aux ambitions climatiques de l’Europe. Les investissements déjà réalisés dans les combustibles fossiles seront protégés par le TCE pendant dix années supplémentaires. C’est beaucoup trop long, car les infrastructures fossiles doivent être éliminées progressivement dès que possible. La clause ISDS n’a pas non plus été réformée et n’a même pas atteint la table des négociations. Dans le cadre des réformes du TCE, l’ordre du jour est fixé à l’unanimité et le Japon a toujours bloqué toute réforme de la clause ISDS. En conséquence, le système ISDS reste intouchable.
Pour ces deux raisons, la plupart des pays d’Europe occidentale ont décidé de ne plus attendre et ont indiqué de quitter le TCE. L’Espagne, la Pologne, la Slovénie, la France, le Luxembourg, les Pays-Bas et l’Allemagne ont annoncé leur sortie. L’Italie a déjà quitté le traité en 2016. Ensemble, ces pays représentent 71 % de la population de l’UE.
En d’autres termes, en ne rejoignant pas la liste des pays qui quittent le TCE, la Belgique se retrouvera vulnérable et isolée. Avec un accord inter se, la “sunset clause” ou « clause de caducité » peut être levée, ce qui empêche les entreprises du secteur de l’énergie ayant un siège dans les pays concernés d’engager des poursuites contre les autres pays signataires. En étant le seul pays d’Europe occidentale à ne pas quitter le TCE, la Belgique se rend extrêmement vulnérable et pourra toujours être poursuivie par tous les pays. Signer un accord inter se tout en restant dans le cadre du TCE est possible, mais pas souhaitable. Il se superposerait à plusieurs traités et annulerait en fait largement l’application du TCE.
Il est donc crucial que l’Union européenne mais aussi la Belgique saisissent ce moment en sortant du TCE et en concluant un accord inter se avec les autres pays sortants.
Pendant que la Belgique hésite, l’Europe est en train de sortir du traité
Pendant que la Belgique restait sur la touche, bloquée par son désaccord interne, des voix pour sortir du TCE s’élevaient pourtant dans d’autres pays. En quelques semaines, pas moins de sept pays européens (Pays-Bas, Espagne, France, Slovénie, Pologne, Allemagne et Luxembourg) ont annoncé qu’ils quittaient purement et simplement le traité. La modernisation du traité prévue pour la fin novembre est donc devenue impossible en raison de ce boycott. Le vote a été annulé. A ce jour, le traité reste donc inchangé, notamment en ce qui concerne la protection de l’industrie des combustibles fossiles.
Après l’échec de la réforme, l’Union Européenne n’a d’autre choix que de quitter le traité. Ce départ est logique : le traité sur la charte de l’énergie est fondamentalement incompatible avec les objectifs climatiques de l’Europe et de l’accord de Paris. Alors que le Parlement européen s’était déjà prononcé en faveur d’une sortie coordonnée du traité fin 2022, la Commission européenne a également pris position en février dernier, qualifiant d' »inévitable » la sortie de tous les États membres de l’UE.
L’avenir du Traité sur la Charte de l’énergie est donc très incertain. La participation européenne au traité semble vouée à mourir. Sous réserve d’un soutien suffisant au sein de la Commission européenne, l’UE pourrait quitter le traité et donc désamorcer sa « clause de caducité ». Cela permettrait de minimiser le risque de poursuites judiciaires futures par des entreprises perdant de leur pouvoir sur les États membres.
Votre voix compte : demandez une sortie belge du TCE à nos politiques
Malgré tous ces signes encourageants, il est très regrettable de constater qu’encore aujourd’hui en Belgique, nos gouvernements ne parviennent pas à s’accorder sur une position commune dans ce dossier. La Belgique s’en retrouve isolée politiquement et économiquement en Europe occidentale. Les gouvernements flamand et fédéral doivent de toute urgence revoir leur copie et soutenir sans réserve une initiative de la Commission européenne visant à quitter ensemble le traité. Aidez-nous à les convaincre d’agir en signant notre pétition pour une sortie de la Belgique du TCE.