Dans un petit village de Flandre occidentale, une entreprise sort l’artillerie lourde pour réduire un habitant qui dérange au silence. L’histoire de Rigobert et sa famille est hallucinante et constitue un exemple local de ce que l’on appelle une procédure-bâillon : une action en justice visant à intimider et faire taire une partie critique. Greenpeace soutient ce citoyen dans son combat local mais symptomatique d’un phénomène en augmentation.
À Pollinkhove, petit village de la commune de Lo-Reninge en Flandre occidentale, Rigobert et sa fille Emmi ainsi que d’autres habitant·es dénoncent depuis des années les nuisances d’une entreprise d’aliments pour bétail installée dans leur village. C’est ainsi qu’en 2020, ils·elles se sont opposé·es avec succès à un projet d’expansion de cette entreprise. Comme c’est si souvent le cas dans les régions rurales de Flandre, l’obsession du système agricole actuel pour toujours plus de productivité et toujours plus de croissance entre en conflit avec le cadre de vie des riverain·es.
L’entreprise en question est en activité six jours sur sept et est qualifiée de « sensible » dans une analyse de risque datant de 2011 parce qu’elle est située entre des habitations et l’école primaire du village. Cela fait des années que les questions des habitant·es concernant les nuisances olfactives, le risque d’explosion de poussières, les émissions de particules fines et le trafic routier des poids lourds à destination et en provenance de l’entreprise sont ignorées. Parents et enfants ne peuvent même plus se rendre à l’école en empruntant le chemin d’accès classique, rendu trop dangereux par la présence de transports lourds. Ils doivent désormais faire un long détour pour assurer leur sécurité.
Avec d’autres citoyen·nes, Rigobert et Emmi dénoncent depuis des années l’impact de l’entreprise sur la qualité de vie au village. « Nous ne trouvons pas logique que cette entreprise soit autorisée à se développer en zone résidentielle. Nous avons l’impression qu’aussi bien l’entreprise, que les responsables politiques locaux se moquent bien de nos préoccupations », explique Rigobert. En prenant des photos, Rigobert a documenté le trafic de poids lourds à destination et en provenance de l’entreprise, surtout aux heures de pointe et aux heures d’entrée et sortie scolaire. Qui plus est, l’infrastructure routière du village n’est pas adaptée aux poids lourds.
Un huissier à la porte
En début d’année, Rigobert reçoit la visite d’un huissier avec une citation à comparaître devant le tribunal. « L’entreprise m’accuse maintenant de harcèlement. C’est complètement dingue ! Nous avons informé les élus locaux et la police locale des nuisances et ils nous ont envoyé promener. J’ai donc pris des photos pour documenter l’impact de l’entreprise. Je ne photographiais même pas les personnes qui m’accusent aujourd’hui. Je crains qu’il y ait un peu de copinage là-dessous, puisque les propriétaires de l’entreprise sont bien connus dans notre village », conclut Rigobert.
Bart Vanwildemeersch travaille pour la fédération environnementale de Flandre occidentale. C’est lui qui a demandé le soutien de Greenpeace. Il explique : « Comme notre région a des liens étroits avec le secteur agricole et en dépend, la politique qui y est menée est régulièrement moins critique. Comme par exemple en ce qui concerne les permis d’extension. Les citoyen·nes qui critiquent ces pratiques peuvent subir la pression d’une association locale dont font partie des employé·es de ces entreprises, ou même la pression d’une école puisque les écoles bénéficient aussi à l’occasion d’un peu de sponsoring de cette entreprise. Il n’est donc pas facile de faire contrepoids en tant que citoyen·ne, à cause de l’énorme pression subie ici, qui peut même aller jusqu’à l’exclusion sociale. »
Le professeur émérite de l’Université de Gand Dirk Voorhoof s’inquiète lui aussi de l’augmentation du nombre de « procédures-bâillons » engagées par des entreprises qui menacent de réclamer des dommages et intérêts ou qui portent plainte contre des personnes dérangeantes qui s’expriment de manière critique.
L’acronyme SLAPP, parfois utilisé pour désigner une procédure-bâillon, signifie « Strategic Lawsuit Against Public Participation », ou « poursuite stratégique contre la participation publique ».
« Dans une démocratie qui cherche à instaurer une société durable, il est crucial que les citoyen·nes puissent participer activement au débat public. Outre les journalistes, les acteur·rices de la société civile et les citoyen·nes doivent aussi pouvoir signaler librement des problèmes tels que les conflits d’intérêts, la corruption, la fraude, les scandales environnementaux, les abus de pouvoir ou les pratiques répréhensibles. Il est donc important de protéger ces personnes et ces associations contre les procédures judiciaires abusives et infondées qui visent à étouffer toute critique », indique le professeur Voorhoof.
Greenpeace estime également que le droit des citoyen·nes à protester est d’une importance capitale. Nous avons donc décidé de soutenir la cause de Rigobert et Emmi pour envoyer un signal clair. En plein dérèglement climatique et crise de la biodiversité, il est très important qu’aux côtés des organisations environnementales reconnues, des citoyen·nes informé·es et engagé·es retroussent aussi leurs manches pour protéger l’environnement et notre nature. Faire entendre sa voix ne devrait pas mener à de telles pratiques d’intimidation.