Vous vous demandez peut-être pourquoi Greenpeace, une organisation environnementale, se mobilise pour la manifestation contre le racisme du 19 mars prochain. Pour vous répondre, nous allons prendre un peu de recul avec Valérie Del Re, directrice de Greenpeace Belgique. Elle nous explique le changement de cap opéré par Greenpeace ces dix dernières années. L’organisation internationale ne souhaite plus se focaliser uniquement sur des problèmes environnementaux stricto sensu, mais prendre du recul et étudier les liens entre les nombreuses crises actuelles.

Greenpeace Netherlands supported the protest that was organised by Comité 21 on 19th of March 2022. Together we stand against racism and discrimination.

GP: Greenpeace parle de plus en plus de justice sociale. Pourquoi ?

Valerie Del Re: Le climat et la justice sociale sont intimement liés. Par exemple, prenons les effets de la crise climatique qui se font déjà sentir : ouragans, feux de forêt, inondations, vagues de chaleur et sécheresse. L’ONU a calculé qu’en moyenne, à l’échelle mondiale, il se produit une catastrophe de ce genre par semaine, la plupart du temps dans le Sud Global. D’après ses estimations, d’ici 2050, une personne sur sept sera déplacée par la crise climatique. Ce qui est particulièrement injuste, c’est que la grande majorité de personnes les plus touchées n’ont en rien contribué au problème. En 2020, le Bangladesh a été frappé par le cyclone le plus puissant qu’il ait connu en 20 ans, et l’année dernière, des inondations massives y ont eu lieu. Des centaines de personnes ont perdu la vie et des millions se sont retrouvées dans une situation précaire en raison du manque de nourriture et de médicaments. Il serait peut-être temps de chercher à savoir qui est responsable de ces catastrophes.“

GP : Mais comment ? Peut-on vraiment parler de responsabilité lors de phénomènes aussi complexes ?

“Lorsque les médias parlent de phénomènes météorologiques extrêmes, ils mentionnent rarement leur cause sous-jacente, la crise climatique. Je pense que le dérèglement climatique doit être considéré comme une forme de violence et que cette violence résulte de l’accumulation du CO2 émis au cours des deux derniers siècles. Les cartes des émissions historiques montrent que ce sont surtout le Royaume-Uni, les États-Unis et de nombreux pays européens qui sont à l’origine de cette situation alarmante dans laquelle se trouve le Sud. Les questions climatiques sont donc inextricablement liées à l’inégalité, au colonialisme, et au racisme. Le système économique actuel considère la planète et toutes les formes de vie comme des choses dont on peut disposer comme on veut. C’est ainsi que les nombreux écosystèmes de haute valeur biologique du Brésil sont détruits pour y cultiver du soja destiné à nourrir nos vaches, cochons et oiseaux de basse-cour. Ensuite, nos surplus de viande atterrissent dans les pays du Sud, où ils privent les agriculteur·rices sur placede revenus. Mais l’inégalité frappe aussi bien au niveau local qu’international : en Belgique, les habitants des quartiers pauvres ont moins accès aux espaces verts et souffrent davantage de la pollution atmosphérique et de la hausse des prix de l’énergie.”

GP : Comment Greenpeace traduit-elle tout cela dans ses actions et ses campagnes ?

“Greenpeace a changé au cours des dix dernières années. Nous sommes une organisation mondiale, et nous nous mettons désormais à l’écoute de la sagesse des habitant·es des pays qui souffrent le plus des effets du changement climatique ou qui abritent des zones importantes à protéger de l’exploitation et de la destruction. Les groupes autochtones du Brésil et les activistes environnementaux du Congo, notamment, jouent un rôle important. Notre stratégie a aussi changé. Par le passé, nous avons engrangé de nombreux succès importants : nous avons réussi à éviter que Shell n’exploite le pétrole dans l’Arctique et à faire adopter le règlement européen sur les déchets toxiques (REACH). Mais aujourd’hui, nous voulons faire advenir un changement systémique. La crise climatique, sociale et l’effondrement de la biodiversité sont des problèmes structurels liés à la croyance en une croissance économique illimitée et en la disponibilité infinie des ressources naturelles. Cela doit changer en profondeur.” 

GP : Une tâche colossale ! Quelles sont les solutions?

“Bien entendu, il s’agit d’une tâche particulièrement complexe, et il n’existe pas de solutions toutes simples. Quel bouton faut-il presser pour transformer le système ? Nous faisons partie d’un vaste mouvement mondial qui cherche à répondre à cette question et qui compte aussi bon nombre de scientifiques. Nous avons décidé d’intégrer trois idées centrales dans toutes nos campagnes et nos actions. Premièrement, le système lui-même doit changer. Deuxièmement, cela va nécessiter une prise de conscience plus large de la société. Troisièmement, les limites de notre planète sont les lignes rouges à surveiller.”

GP : En tant qu’organisation de défense de l’environnement, Greenpeace souhaite donc jouer un plus vaste rôle dans la société ?

“Je crois que la réflexion sur notre avenir politique est entrée dans une nouvelle ère. Nous devons trouver des moyens pour permettre à l’ensemble de la population de notre planète de mener une vie agréable dans les limites de ce qui est écologiquement possible et dans le respect des écosystèmes et de toutes les formes de vie. Voilà un immense défi à relever et même, en quelque sorte, une véritable quête. Nous n’y arriverons que si nous abordons le problème de manière globale, en nous inscrivant dans une convergence des luttes, qu’elles soient environnementales, sociales, antiracistes, contre les violences de genre, … “

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